Frédéric Leroux, membre du comité d’investissement stratégique de Carmignac, présente trois voies à explorer face au retour de l’inflation qui pourrait aussi signifier le retour du cycle économique et ainsi favoriser la gestion active.
L’inflation devrait refluer sensiblement en Europe à partir du mois de septembre. Faudra-t-il alors anticiper un retour rapide et durable à la situation qui prévalait avant la pandémie ? Probablement pas. Après avoir été nié puis minimisé puis considéré sans avenir, le retour de la hausse des prix est désormais une réalité qui s’impose à tous.
Croire que l’on peut refouler cette inflation sans casse majeure est certainement une illusion compte tenu des forces structurelles qui lui redonnent vie (démographie moins favorable à l’épargne et à l’investissement, commerce mondial plafonnant, transition énergétique…). Face à ce nouvel environnement qui s’installe malgré nous, trois voies mériteraient d’être explorées : une hausse des rémunérations réelles (i.e. ajustées de l’inflation), une réindustrialisation pour réduire les dépendances énergétiques et industrielles, une conciliation entre éthique et efficacité économiques.
Aux Etats-Unis, les salaires sont en hausse moyenne de 6 % alors que l’inflation semble devoir refluer d’un pic d’inflation local à 8,5 %. Ce reflux attendu permet d’envisager une croissance bienvenue des salaires réels outre-Atlantique, où le salarié retrouve une position de négociation favorable.
Mais en Europe, les salaires ne progressent que de 1,5 % quand les prix augmentent de près de 7,5 %. Si cet écart est en partie comblé par des aides diverses – chèque énergie, « ristourne à la pompe », avant peut-être des chèques alimentaires pour les moins favorisés d’entre nous -, ces solutions ne peuvent être que temporaires. Elles pèsent sur les comptes publics, augmentent la dépendance des ménages à l’égard de l’Etat, et empêchent les ajustements naturels en masquant la réalité des prix.
Si les gouvernements ne prennent pas des mesures permettant aux ménages de réduire en partie au moins l’écart de la croissance de leurs revenus avec l’inflation, le risque est clair : voir descendre dans la rue les populations européennes.
Le sujet devrait rapidement être préempté par les gouvernements, qui doivent faciliter les hausses de salaires par les entreprises et changer leur approche économique des dernières décennies fondée sur la stabilité des prix. Ne pas en changer nous condamnerait à une récession profonde, ce quirisquerait fort de ne pas conduire à une stabilisation durable des prix et de creuser la dette. Triple peine !
Ensuite, il faut pour l’Europe traiter ses dépendances, industrielle, militaire et énergétique que la Covid-19 et la guerre en Ukraine ont brutalement révélées. La nécessité induite de relocalisation fournit une opportunité de réindustrialiser les pays européens où cela s’avère nécessaire. La France est un candidat évident, d’autant que son outil nucléaire lui fournit un avantage compétitif majeur, surtout s’il est modernisé et développé. Prétendre devenir ou rester une nation industrielle sans maîtriser son approvisionnement énergétique n’est plus une option. Il va y avoir des places à prendre.
Les emplois industriels sont bien payés grâce aux qualifications requises et à la productivité croissante des entreprises industrielles. L’environnement inflationniste justifie plus que jamais de réaliser d’importants efforts de productivité, que permet une industrie moderne. La réindustrialisation pourrait constituer une raison de réorienter l’épargne des ménages vers des actifs qui alignent leurs intérêts sur ceux de l’Etat car potentiellement profitables même en période d’inflation.
Favoriser simultanément la participation des salariés aux résultats de leurs entreprises grâce à des dispositifs intégrant un minimum d’incitation et de protection serait un moyen, complémentaire et vertueux, d’indexer leurs revenus à l’inflation. Plusieurs grandes sociétés viennent d’ailleurs d’annoncer de nouveaux programmes visant à encourager l’actionnariat salarié.
La troisième voie à tracer est complémentaire des deux autres : chercher à concilier au mieux désir de morale et nécessité d’efficacité. Encore faut-il retrouver un esprit économique, qui rappelle que le désir d’une économie plus morale ne peut pas longtemps nous abstraire du principe de réalité. Il en va de la géopolitique comme des contraintes énergétiques. La disponibilité énergétique répond à des facteurs physiques que nous ne pouvons ignorer. L’environnement présent montre clairement que le rythme choisi pour la transition énergétique est trop rapide, qu’il contribue à l’inflation et crée un risque d’inadéquation entre l’offre et la demande d’énergie.
Si le principe de réalité orientait de nouveau les décisions politiques et économiques les plus « impactantes », la période actuelle pourrait devenir propice, avec un peu d’imagination et d’audace à l’entrée dans une période de prospérité plus largement partagée. Environnement tendanciellement inflationniste, reconstruction à travers la réindustrialisation, soutien d’une classe moyenne permettant de favoriser une dynamique économique positive… La période qui s’ouvre peut avoir quelques similitudes avec nos chères Trente Glorieuses.
Sources : Carmignac, Bloomberg, 17/05/2022
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