En 2013, à l’Université d’Astana, capitale du Kazakhstan, le Président Chinois Xi annonce une initiative que le monde ne comprend pas: « la nouvelle route de la soie ». Cet ambitieux projet vise à relier la Chine à l’Europe, en investissant dans les infrastructures, les échanges culturels et commerciaux avec 65 pays, qui représentent le tiers de la population mondiale.
Ceci fait écho à la mythique route de la soie, commencée il y a plus de 2 000 ans, succédant à des échanges depuis le paléolithique. Cette route a décliné au XVè siècle, en partie parce que la chute de Constantinople pousse alors les européens à chercher des voies maritimes et à fabriquer la soie eux-mêmes, conduisant aux « magnaneries » du XIXè siècle, chères à Daudet.
Le nom de cette initiative évoque aussi le fait que, vers 1750, la Chine représentait environ le tiers du commerce mondial. C’est donc à renouer avec ce glorieux passé que nous invite le président chinois. Dans son ethnocentrisme coutumier, l’ «Occident » a ignoré l’affaire, jusqu’à ce qu’en 2016, plusieurs réunions, à l’initiative de la Chine, mettent ce grand dessein sur le devant de la scène.
Cette initiative est aussi appelée « Obor- one belt, one road », un nom beaucoup moins évocateur. Elle comporte deux types de routes: maritime et terrestre. Au cours de sa longue histoire, la Chine n’a pas été une puissance maritime, mais elle est désormais déterminée à :
Les projets ont trois sources de financement, crées en 2014 :
A ce jour, les réalisations ont fortement concerné le Pakistan, où 40 milliards de dollars seront investis ces dix prochaines années. Le pays espère que plus de deux millions de nouveaux emplois seront ainsi crées. Dans les montagnes du Laos, de titanesques travaux construisent 560 km de voie ferrée pour relier Vientiane à Kumming, capitale du Yunan. Cette ligne doit être prolongée jusqu’à Bangkok. Pendant la guerre du Vietnam, le Laos a été le pays le plus bombardé de l’histoire; les démineurs y ont pour des décades de travail, en particulier dans la région meurtrie de la plaine des Jarres.
Projets financés par la Chine au Pakistan
Cette audacieuse initiative présente de multiples aspects. Elle vise d’abord à développer le commerce, activité au cœur du génie chinois, écoulant aussi des super-capacités, en acier par exemple. Il s’agit aussi de propager la vision chinoise du monde, de faire aimer la Chine et sa culture. Un autre objectif est de désenclaver l’ouest chinois. Plus de 2 000 km de voies pour trains rapides atteignent maintenant Urumqi, capitale du Xinjiang, dont le nom veut dire « nouvelle frontière ». Cette région autonome, la plus grande province de Chine, comporte plusieurs minorités ethniques, Uygur en particulier. La voie ferrée, reliant Kashgar au port pakistanais de Gwadar, vise aussi à ouvrir à la mer la région occidentale de la Chine. Il s’agit enfin de muscler la monnaie chinoise dans les échanges internationaux. A ce jour, la Chine a conclu plus de trente accords avec des banques centrales, à l’occasion de négociations avec les 65 pays concernés.
L’enjeu géopolitique d’Obor est éminent. La bouderie des Etats Unis vis-à-vis de l’AIIB manifeste la difficulté de ce pays à accepter l’Eléphant du XXIè siècle, alors que la France avait passé le relai à la Grande Bretagne, qui, à son tour, l’a passé à son ancienne colonie. Une autre réticence est celle de l’Inde, qui garde le souvenir de sa guerre avec la Chine, au temps de Nehru. Surtout, l’emprise de la Chine sur le Pakistan parait une provocation pour l’Inde. Pour lui faire pièce, cette dernière a annoncé une initiative, conjointe avec le Japon : « la route de la liberté »…
Le monde non-chinois a du mal à saisir l’extrême pragmatisme d’Obor. Comme le proclame un dicton chinois, « il convient de traverser le fleuve pas à pas, en sentant les pierres sous la plante de ses pieds ». En fait, si la Chine invente une sage troisième voie, entre colonialisme et impérialisme économique, elle aura grandement mérité de l’humanité.
Georges HAOUR
Professeur, IMD