Partout en Occident, un vent de repli souffle sur les démocraties. Du succès des partis identitaires en Europe à la résurgence d’un discours protectionniste en Amérique du Nord, le nationalisme semble retrouver une place centrale dans les débats politiques et sociaux. Ce phénomène, que l’on croyait en recul depuis la Seconde Guerre mondiale, revient aujourd’hui en force, non comme une idéologie structurée, mais comme une réaction diffuse, parfois viscérale, à un monde perçu comme instable, menaçant, insaisissable. Ce regain nationaliste ne tombe pas du ciel. Il est le symptôme d’une inquiétude profonde, d’un désarroi collectif face à la complexité du monde contemporain. À force de crises successives – économiques, sanitaires, climatiques, migratoires – et d’un sentiment persistant de déclassement, nombre de citoyens occidentaux ont l’impression d’avoir perdu prise sur leur avenir. Les repères traditionnels s’effritent, les récits collectifs s’effondrent, les promesses du progrès semblent s’être évaporées. L’ouverture sur le monde, vantée pendant des décennies comme une chance, se transforme pour certains en menace. Dans ce contexte, la nation redevient un refuge, une frontière symbolique à opposer au chaos ambiant.
Mais cette réaction de fermeture révèle, en profondeur, le vide laissé par une société qui s’est peu à peu perdue dans la matière. Une société où l’argent est devenu non seulement un moyen, mais une finalité en soi ; où la croissance prime sur les valeurs, et la possession sur la relation. Le projet collectif a cédé la place à l’accumulation individuelle, les idéaux à la rentabilité. En reléguant l’humain au second plan, nous avons tari les sources de solidarité, d’espérance et de sentiment d’appartenance. Le confort matériel, la technologie, la consommation à outrance ont certes apporté des facilités, mais ils n’ont pas su nourrir l’âme d’un monde qui doute de lui-même. Et quand plus rien n’élève, on se tourne vers ce qui rassure — l’identité, la frontière, le passé. Une tentative désespérée de redonner une signification à un monde qui n’en propose plus. Ce n’est pas uniquement la peur qui pousse à se refermer, mais le vide laissé par l’absence d’un cap humain et collectif. Le rejet de l’autre, la méfiance envers les institutions, la crispation sur soi sont autant de conséquences d’un monde épuisé, qui peine à se réinventer. Et le plus préoccupant, c’est que ce repli s’accompagne d’une remise en cause progressive de tout ce qui avait été conquis au nom de l’humain : les libertés, le droit à la différence, la dignité, la solidarité.Certains y voient un dernier sursaut, le crépuscule d’une civilisation fatiguée, en perte de confiance en elle-même. Après avoir dominé le monde pendant des siècles, l’Occident se regarde aujourd’hui avec inquiétude, craignant de ne plus avoir sa place dans l’avenir. Mais ce n’est pas une fatalité. L’histoire n’est jamais linéaire. Les phases de retrait ont souvent été suivies de renouveaux inattendus. Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas la capacité d’agir, mais le souffle d’un cap à long terme, le courage d’inventer autre chose, au-delà du nationalisme comme au-delà du globalisme sans racines.
Le défi est grand, mais l’Occident a déjà surmonté d’autres crises tout aussi profondes. Il a traversé des guerres, des bouleversements, des périodes de doute, et il a su, chaque fois, retrouver un chemin. Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas notre pouvoir d’agir, mais le courage de regarder la réalité en face, sans chercher à fuir dans des promesses faciles ou des souvenirs idéalisés. Le monde est complexe, incertain, parfois inquiétant. Mais il faut apprendre à vivre avec cette complexité, à en faire une force plutôt qu’un obstacle. Le nationalisme, lui, apporte des réponses simples à des problèmes compliqués. Il rassure, il donne l’impression de reprendre le contrôle. Mais au fond, il ne résout rien. Il ne fait que masquer un manque fondamental. C’est un signal d’alarme : il nous dit que quelque chose ne va pas, que beaucoup se sentent perdus, oubliés, déçus. Ce signal, il faut l’écouter. Pas pour y céder, mais pour comprendre ce qu’il révèle. Et surtout, il faut aller plus loin. Trouver un nouveau projet de société, qui parle à tout le monde. Un projet qui remet l’humain au centre, et qui redonne du sens à nos vies, à nos choix, à notre avenir. L’Occident ne pourra avancer qu’en s’appuyant sur ce qui a toujours été sa force : la remise en question, l’ouverture et le lien humain.
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