TRUMP 2.0 : EST-CE LA FIN DE L’INVESTISSEMENT DURABLE ?

19 janvier 2025

TRUMP 2.0 : EST-CE LA FIN DE L’INVESTISSEMENT DURABLE ?

Par Lloyd McAllister, Responsable de l’investissement durable, Carmignac

À l’approche du début du second mandat présidentiel de Donald Trump, certains craignent que tout soit perdu pour l’investissement durable. Nous sommes plus optimistes. Il y aura bien sûr des épreuves et des turbulences, mais cette période de remise en question légitime et à certains égards pourrait s’avérer utile.

La large victoire de Donald Trump aux élections présidentielles de novembre et la domination prochaine des Républicains au Congrès ont jeté un froid dans le milieu de l’investissement durable. Mais quatre ans après son départ de la Maison Blanche, le monde a évolué ; pour les entreprises, les réglementations environnementales constituent désormais les fondements sur lesquels les industries s’appuient, et dans le même temps, avec Elon Musk, la Maison Blanche accueillera bientôt « l’industriel vert » le plus prospère au monde.

Règlements de comptes…

Les amendements à la loi Inflation Reduction Act (IRA) devraient figurer en tête des priorités fixées par le nouveau président, mais à y regarder de plus près, les changements devraient être modestes avec une attention particulière portée à l’énergie éolienne et aux crédits d’impôt accordés aux véhicules électriques. M. Trump qualifie l’énergie éolienne d’« horrible », tandis que la suppression des crédits d’impôt pour les véhicules électriques profiterait à son nouvel allié, Elon Musk, et entraverait les concurrents de Tesla, plus dépendants des subventions.

Il est frappant de constater que certains éléments de l’IRA correspondent en fait à des objectifs bipartisans de réindustrialisation – en outre, 60 % des crédits d’impôt profitent à des États républicains. De même, les crédits d’impôt pour le captage et le stockage du carbone permettent de prolonger l’approvisionnement en pétrole et en gaz, honorant ainsi la promesse faite par Trump aux dirigeants de l’industrie.

La sortie de l’Accord de Paris est une autre mesure évidente, qui permet une victoire politique facile et porte un coup symbolique à l’accord à un moment où le soutien géopolitique s’effrite. Alors que de nombreuses entreprises américaines se sont engagées à soutenir l’Accord de Paris après le retrait de Trump lors de son premier mandat, nous pensons que les entreprises seront plus discrètes cette fois-ci; le « ras-le-bol vert » est en marche.

En parallèle, nous nous attendons à une nouvelle escalade dans l’usage des droits de l’homme comme justification à l’instauration de mesures protectionnistes à l’encontre de la Chine, notamment les accusations de travail forcé. En outre, nous prévoyons un renversement de l’assouplissement temporaire des règles de l’IRA concernant les exigences en matière d’achats écologiques locaux, empêchant de fait les entreprises américaines de réclamer des crédits d’impôt IRA à moins qu’elles n’achètent local. Au global, l’ensemble de ces éléments pourrait contrecarrer les engagements de Trump en matière de réduction de l’inflation.

La déréglementation déraille ?

Le niveau de production qu’atteignent désormais de nombreuses énergies renouvelables et leur prix compétitif viennent limiter la capacité de Trump à faire dérailler la transition énergétique mondiale. Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, a d’ailleurs récemment déclaré que la suppression de la réglementation sur le climat « n’aidera pas l’industrie, mais au contraire la diabolisera, et le dialogue sera alors encore plus antagoniste ». Les grandes compagnies pétrolières européennes souhaitent un environnement réglementaire stable en matière d’énergie propre alors qu’elles entament la transition de leurs modèles économiques, et non un « Far West » susceptible de créer une offre excédentaire face à une demande plus faible.

Les préjudices causés par les questions d’antitrust ont également commencé à dominer l’agenda de l’investissement durable au cours des dernières années, avec une approche plus ferme adoptée par la Commission fédérale du commerce des États-Unis. Nous voyons cette tendance s’atténuer sous une administration Trump favorable aux entreprises et à la déréglementation, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Par ailleurs, malgré les relations tendues de M. Trump avec les entreprises technologiques, nous nous attendons à ce qu’il adopte une position combative contre les lourdes amendes infligées par l’Union européenne aux entreprises technologiques américaines, notamment la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD) et le mécanisme d’ajustement aux frontières pour le carbone.

Prendre ses responsabilités

Selon nous, les motifs éthiques devraient être plus franchement abandonnés par l’industrie de la gestion d’actifs au profit d’un retour clair des considérations financières pour justifier la prise en compte des critères ESG dans les décisions d’investissement. Nous pouvons également nous attendre à une SEC[1] plus interventionniste, rejetant les résolutions d’actionnaires en Assemblée Générale qui seront considérées comme trop activistes. Pour les gestionnaires de fonds, une interprétation erronée de ces changements subtils et des zones grises qu’ils impliquent pourrait impacter la performance de leurs fonds.

Certains pointent l’ironie de la situation car si les pratiques en matière de durabilité et d’investissement durable – contre lesquelles Trump s’élève – avaient été mises en œuvre dans les années 1990 et 2000, le programme sociétal sur lequel il a gagné, à savoir la baisse du niveau de vie et l’augmentation des inégalités pour les populations à faibles et moyens revenus dans les pays développés, n’aurait pas existé[2].

Ironie encore à la lecture de certaines des politiques de santé publique que Trump est susceptible de mettre en œuvre et soutenues par Robert F. Kennedy Jr (la lutte contre les maladies chroniques comme l’obésité et le diabète grâce à des régimes alimentaires plus sains) qui sont en phase avec des opinions communément acceptées par les acteurs de l’investissement durable. Toutefois, l’incapacité chronique de la Maison Blanche, sous l’effet de sa bureaucratie et des activités de lobbying, à apporter des changements à grande échelle dans le domaine de la santé, nous suggère que l’impact sera limité.

En conclusion et en dépit de sujets de préoccupation réels, nous ne nous attendons pas à ce que le second mandat de Trump soit intégralement négatif pour l’investissement durable. Il convient de rappeler que son premier mandat a vu un triplement des investissements dans les fonds durables – bien que les États-Unis ne représentent encore que 10 % des actifs durables mondiaux[3] – et une croissance de la production d’électricité renouvelable de 17 % à 21 %[4]. Il y aura des tensions autour du climat, mais les États-Unis ne sont pas le monde ; la politique américaine ne peut influencer les marchés que dans une certaine mesure et pour une certaine durée, et les fondamentaux et modèles économiques qui sous-tendent l’investissement durable raisonnable sont beaucoup trop forts pour être ignorés.

Malgré tout le bruit et les débats, une chose est claire : l’investissement durable est là pour durer.

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