Raphael Gallardo, chef économiste de Carmignac
Après huit années de surperformances cyclique et boursière, la frustration tenace des électeurs vis à vis de leur situation financière a engagé la campagne électorale sur la voie du populisme économique.
La future administration du président nouvellement élu Trump héritera donc d’une économie plus fragile que ne le laissent supposer ses performances récentes, et l’irruption du populisme au centre du discours politique pourrait, en cas de gouvernement unifié, forcer les marchés à reconsidérer les perspectives de long terme de l’économie américaine, quitte à surréagir d’emblée afin de forcer les gouvernants à la tempérance.
Le programme de Donald Trump promet de baisses d’impôts massives pour les entreprises et les ménages, un choc protectionniste inédit, une dérégulation à grande échelle (Elon Musk promis au rôle de « Secrétaire à la dérégulation »), la promotion des énergies fossiles domestiques et l’expulsion massive d’immigrants illégaux.
Alors que la dérégulation, la promotion de l’extraction pétrolière et les baisses d’impôts sur les sociétés sont typiquement des mesures de « politique de l’offre », qui renforcent le PIB et pèsent sur les prix, nous estimons que leur impact serait contrebalancé par les effets récessifs et inflationnistes causés par des tarifs douaniers prohibitifs et une expulsion massive de travailleurs migrants.
En outre, les réductions d’impôts sur les revenus du travail (pourboires, heures supplémentaires) et sur les prestations sociales (dont les retraites) ajouterait aux pressions inflationnistes, en stimulant la demande finale.
Même dans le cas d’une application édulcorée de ces promesses de campagne, le PIB n’évoluerait guère par rapport à sa tendance récente de 2 % ; vu que l’économie américaine tourne déjà à plein régime (il n’y a pas de capacité inutilisée en main-d’œuvre ou en capital). En outre, les tarifs douaniers et les reconductions à la frontière auront un impact négatif sur le potentiel d’offre futur de l’économie.
Dans ce scénario, l’inflation accélérerait de +1,1 % et le déficit se creuserait pour atteindre 10 % du PIB.
Cette deuxième vague d’inflation obligerait la Fed à interrompre les réductions de taux au début de 2025, voire à reprendre les hausses d’ici à la fin de l’année. Dans un premier temps, le dollar s’apprécierait en raison de la hausse des taux, de la réduction des déficits commerciaux et de l’afflux de capitaux étrangers à la recherche d’un rendement du capital artificiellement plus élevé sur le marché des actions.
Cette flambée du billet vert exaspérerait un président mercantiliste et risquerait d’entraîner une révocation prématurée du président de la Fed, M. Powell, au profit d’une personne politiquement accommodante. Cela effraierait les investisseurs étrangers, entraînant en retour un affaiblissement du dollar.
À son paroxysme, la fuite des capitaux étrangers investis sur les machés obligataires et actions inverserait les effets richesse qui ont permis à l’économie américaine de tourner à plein régime ces deux dernières années.
Même s’il ne contrôle pas la Chambre des représentants, Donald Trump pourrait encore mettre en œuvre certains piliers de son programme : imposer des droits de douane, fermer les frontières, réaffecter certains fonds fédéraux au financement d’une campagne d’expulsion, et déréglementer l’économie par le biais de décrets ou par la nomination de juges favorables au monde des affaires.
En revanche, il ne pourrait faire adopter toutes les réductions d’impôts promises. Certes, les démocrates accepteraient probablement de reconduire certaines des réductions d’impôts de 2017 bénéficiant aux classes moyennes, mais l’expiration des autres exemptions fiscales fin 2025 mènerait à un resserrement budgétaire significatif.
Dans l’ensemble, ce cocktail serait nettement stagflationniste (PIB en baisse de 1,6 pt par rapport au potentiel, inflation en hausse de 0,6 %).
L’ampleur du ralentissement convaincrait probablement Trump d’atténuer certaines de ses mesures phares, mais les marchés financiers pâtiraient toujours d’une réintégration d’une prime de risque de stagflation dans les obligations et les actions.
IMPLICATIONS POUR LES MARCHES
Kevin Thozet, membre du comité d’investissemen
t
Le retour des « Reaganomics » devrait d’abord prolonger la tendance haussière sur les marchés actions et le cycle économique jusqu’en 2025. Cependant, le programme favorable aux entreprises de M. Trump se ferait au prix de taux réels plus élevés, qui pèseraient sur le système financier mondial.
Concernant les actions, les petites et moyennes capitalisations et le secteur financier devraient bénéficier de l’assouplissement de la régulation et des baisses d’impôts. Les valeurs de consommation d’un cycle qui dure. Les valeurs manufacturières des mesures de protectionnisme. Et le secteur pétrolier et gazier (services et infrastructures surtout) de la priorité donnée à la production nationale.
Pour l’omnipotent secteur technologique, les perspectives sont plus mitigées, les tensions commerciales avec la Chine pourraient avoir un impact négatif sur les chaînes d’approvisionnement mondiales d’entreprises globalisées telles que Nvidia ou Apple.
Mais la revue à la hausse des perspectives de croissance et d’inflation, ainsi que la mise à l’épreuve de l’indépendance de la Fed, verront une remontée globale des taux obligataires. Si l’ensemble des ponts de courbe devraient être touchés, les maturités les plus longues devraient être les plus affectées (dans un mouvement de pentification).
Les pressions à la hausse sur les taux d’intérêts devraient peser sur les actifs à duration longue (les valeurs de croissance) ainsi que sur les valeurs défensives, d’autant que les valorisations actuelles de ces segments de la cote sont particulièrement élevées.
Du côté des marchés obligataires, la bonification des prévisions de croissance (du moins sur le plan cyclique), la révision en hausse des anticipations d’inflation et les questions relatives à la juste compensation requise pour détenir des obligations à long terme plaident en faveur d’une approche flexible, mais prudente, dans la gestion des stratégies de taux d’intérêt et d’une préférence pour les taux réels (c’est-à-dire ajustés de l’inflation) aux taux nominaux.
Le dollar américain serait confronté à des forces opposées entre les interférences de D. Trump vis-à-vis de la Fed, la prolongation de l’exceptionnalisme américain et la menace de nouveaux tarifs douaniers. Ces derniers, qui sont au cœur du programme économique du candidat républicain, causeraient vraisemblablement une flambée du billet vert. Si le dollar finissait par s’affaiblir en raison des sorties de capitaux des investisseurs étrangers, cela irait de pair avec la baisse des actions américaines.
Les gouvernements divisés ont été associés à des périodes de volatilité contenue et de bonnes performances pour les marchés. Une cohabitation à l’américaine impliquerait des concessions qui verrait une impulsion budgétaire positive, c’est-à-dire rien de galvanisant mais rien de dramatique non plus. En outre, cela viendrait réfréner les mesures les plus « populistes » des deux candidats. Les marchés préfèrent la stabilité de l’impasse à l’incertitude de la lutte partisane.
L’usage de décrets par Trump lui permettraient d’adopter certaines de ses mesures les plus inflationnistes, mais sans le contrôle total des deux chambres, le champ d’action pour la mise en œuvre de ses politiques les plus favorables à la croissance serait limité. Un contexte qui le verrait probablement faire marche arrière sur certaines mesures ; mais avec le risque qu’il ne se rétracte que dans un second temps, une fois la perspective néfaste de voir et des prix plus élevés et une croissance plus faible (« stagflation ») reflétée dans les marchés financiers.
Néanmoins, la probabilité accrue d’une paralysie du Congrès pourrait, de manière contre-intuitive, se traduire par un environnement de marché favorable au début de 2025. La réinstauration du plafond de la dette conduirait à l’injection de nouvelles liquidités dans le système, le Trésor américain puisant (à nouveau) dans son compte de dépôt auprès de la Fed. De même, compte tenu de la difficulté pour un gouvernement divisé d’adopter d’importantes mesures de stimulus budgétaire, la Réserve Fédérale pourrait être amenée à assurer la plus grande partie du soutien à l’économie sans avoir à se préoccuper du retour des pressions inflationnistes.
En termes de secteurs, les valeurs de croissance qui dépendent moins (ou, dans certains cas, ne dépendent pas) du cycle économique pour se développer seront censément les plus courues. En revanche, celles les plus dépendantes des dépenses publiques ou de l’évolution du cadre réglementaire – comme les services environnementaux – ainsi que les entreprises les plus tributaires de la confiance et des dépenses des ménages, comme les services financiers, seront à la traîne, à l’exception du secteur des infrastructures, qui pourrait bénéficier d’accords bipartisans.
Retrouvez l’ensemble de nos articles Business