Les médias relatent ces derniers mois la course aux étoiles entre les deux milliardaires Jeff Bezos, fondateur d’Amazon et Richard Branson, patron de Virgin. Ils multiplient les projets visant à développer le tourisme spatial et veulent proposer des vols commerciaux habités à très court terme. Jeff Bezos a lui-même participé au premier vol de sa société, le 20 juillet 2021, quelques jours seulement après Richard Branson qui a pris part au vol inaugural de la capsule de son entreprise le 9 juillet. S’ils ont tenu à profiter eux-mêmes de ces premiers vols spatiaux “de plaisir”, leur objectif reste bien de développer le tourisme spatial.
Jeff Bezos propose ainsi des billets pour monter à bord de la capsule New Shepard avec son entreprise Blue Origin et Richard Branson vend des places dans SpaceShip Two avec Virgin Galactic. Les prix affichés par chacune des entreprises sont tout simplement exorbitants. Bezos a par exemple vendu une place à ses côtés à 28 millions de dollars lors du vol inaugural de sa capsule. Les prix vont certes baisser à l’avenir, pour atteindre 200 000 à 250 000 dollars, mais on parle tout de même de « voyages » de quelques minutes seulement.
Elon Musk, le fondateur de Space X affiche lui aussi son ambition de se positionner sur ce secteur émergent, avec des choix différents, puisqu’il travaille avec un milliardaire pour des vols de quelques jours. Face à cette rivalité commerciale et à la guerre médiatique qui va avec, il est cependant difficile de ne pas se poser la question du sens de ces voyages d’un nouveau type.
Les articles sur le sujet dans la presse ces derniers mois semblent indiquer que Bezos et Branson se disputent le titre de premier touriste spatial. Pourtant, rien n’est plus faux, car la place a déjà été prise il y a plusieurs années, par Dennis Tito. Ce milliardaire américain a en effet intégré en 2001 la station spatiale internationale. En 20 ans, huit autres astronautes amateurs ont découvert la vie dans l’espace pour quelques semaines, dont deux autres milliardaires, Charles Simony en 2007 et Guy Laliberté en 2009. Si avec ce vol, Richard Branson est effectivement devenu le premier milliardaire à aller dans l’espace avec son propre appareil, l’aspect novateur des vols spatiaux de cet été reste cependant assez réduit.
En effet, ce battage médiatique est au service d’un but bien moins ambitieux qu’il n’y paraît. Ces vols représentent certes un tour de force pour des entreprises privées, mais alors que les voyages spatiaux de ces dernières années ont été fait vers l’ISS située à 408 km de la Terre, les vols proposés par les entreprises de Bezos et Branson prévoient d’emmener leurs passagers juste au-dessus de la limite officielle fixée de l’espace, la ligne de Karman, soit à 100 km de notre planète. Il ne s’agit pas non plus de découvrir la vie dans l’espace plusieurs semaines comme l’ont vécu les huit premiers «touristes astronautes», puisque ces vols doivent durer entre six minutes pour la capsule de Bezos et onze minutes pour celle de Branson. Ce sont donc des expériences fugaces, sans véritable immersion, malgré le coût important qu’elles représentent.
Les vols spatiaux réalisés ces deux dernières décennies étaient certes touristiques, mais ils avaient aussi des objectifs scientifiques, artistiques et sociétaux. Par exemple, Anousheh Ansari, la seule femme ayant découvert l’espace dans la station spatiale sans être professionnelle, a pris part à des expériences scientifiques dans l’ISS sur le mal de l’espace.
Charles Simony a également participé à des expériences médicales lors de son passage dans la station internationale. D’autres, comme Richard Garriott, ont utilisé leur expérience de touriste spatial pour des actions de sensibilisation et d’éducation. Pendant son séjour dans l’espace, il a ainsi amené et réalisé des expériences que des écoliers avaient proposés. Les courts vols que mettent en place Jeff Bezos et Richard Branson ne permettent pas de participer à une avancée scientifique et on peut se demander quel message ils pourront porter après une expérience se limitant finalement à quelques minutes d’apesanteur.
Les enjeux du tourisme spatial restent donc à ce jour essentiellement commerciaux. Virgin Galactic affiche l’ambition de réaliser plus de 400 vols annuels à partir de 2022. Des acheteurs de plus de 60 pays ont déjà acheté près de 600 places. Reste à savoir si ce loisir pour ultra riches pourra réellement un jour devenir accessible plus largement, ni même si cette démocratisation est souhaitable compte tenu de la pollution que ce secteur engendre et des défis climatiques qui se posent à court terme à l’humanité.
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