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La semaine boursière fut marquée par un pic sur le rendement du taux à 10 ans américain. En progression quasi constante depuis cet été où il avait touché le niveau inédit de 0,50%, il a accéléré à partir du 6 janvier, date des résultats de l’élection sénatoriale dans l’Etat de Géorgie remportée par les Démocrates. Depuis, il est monté jusqu’à 1,18% en séance le 12 janvier, un rendement qui n’avait plus été atteint depuis la crise de mars. Une telle progression n’est pas inédite, mais elle n’est pas anodine. Signifie-t-elle que le point bas sur les taux est passé ? Qu’ils ne peuvent plus que remonter ?
Ce serait un moment historique car on a pu croire ce point bas atteint à plusieurs reprises les années passées, toujours à tort. Si cette hypothèse s’avérait juste cette fois, les conséquences financières seraient considérables : cela mettrait fin à une quarantaine d’années de baisse des taux, associée à une baisse de l’inflation, et à toutes les conséquences qui en découlent ; A commencer par la possibilité pour les Etats bien notés par les agences de notation et les acteurs économiques de s’endetter toujours davantage, sans accroître excessivement la charge de la dette. Si ces conditions favorables n’étaient plus réalisées, la capacité d’endettement de l’ensemble des acteurs s’en trouverait diminuée, y compris celle des Etats. Ces derniers ne pourraient plus accroître leur endettement, au moment même où les entreprises et les ménages en auraient le plus besoin. Le piège de l’endettement se refermerait.
Heureusement, nous n’en sommes pas tout à fait là. Ce qui sauve la situation, ce sont les anticipations d’inflation. En hausse constante également depuis l’été aux Etats-Unis, l’anticipation d’inflation attendue « à cinq ans dans cinq ans », c’est-à-dire l’anticipation d’inflation à long terme reflétée par les marchés obligataires, atteint en ce moment environ 2,3% de l’autre côté de l’Atlantique. Dans ces conditions, les taux « réels » vus comme les taux à 10 ans actuels (disons 1,10%) diminués des perspectives d’inflation à long terme (disons 2,3%) restent très favorables, autour de -1,2%, un niveau presque irréel ! S’endetter dans ces conditions reste éminemment favorable : même à taux apparemment positif, on est payé en termes « réels » pour s’endetter. Ainsi l’économie peut-elle continuer à tourner, grâce au surcroît de dette gratuite.
C’est pourquoi il est vital de conserver des anticipations d’inflation à un bon niveau. C’est ce à quoi s’affairent les banques centrales et les Etats depuis des années, avec des résultats mitigés dans le cas européen, positifs dans le cas américain. Pour les maintenir, tout est bon, y compris les dépenses les plus considérables. Ainsi le nouveau plan de relance annoncé par Joe Biden le 14 janvier s’inscrit-il dans cette perspective : il vient non seulement en aide urgente aux acteurs les plus touchés par les conséquences de l’épidémie, mais il permet aussi – voire surtout – de soutenir la consommation et donc l’inflation, en promettant rien moins que 2 000 milliards de dollars de transferts rapides de richesse aux ménages, entreprises et collectivités territoriales. Ils s’ajoutent aux 900 milliards de soutien tout juste validés par l’administration Trump. Soit près de 3 000 milliards de dollars de nouveaux déficits votés ou proposés en l’espace de quelques semaines… Il est vrai que, dans les conditions actuelles, s’endetter rapporte non seulement de l’argent, mais aussi des électeurs.
Cette expansion monétaire et budgétaire a cependant un prix : la crainte diffuse d’une perte de valeur de la monnaie. C’est une des façons dont on peut expliquer (outre par la pure spéculation) les records atteints par les cryptomonnaies ces derniers temps, notamment par le Bitcoin qui a dépassé les 40 000 dollars début janvier, progressant d’un irréel 300% depuis l’été. Dans le même ordre d’idée, l’or pourrait lui aussi être recherché, après avoir gagné 25% l’année passée.
Mais si entre deux maux il faut choisir le moindre, l’expansion budgétaire est préférable à la fuite dans l’austérité : l’expérience des années 1930 montre que la déflation sévère n’apporte guère plus de bienfaits que l’inflation. Saluons donc l’activisme américain en la matière, qui aide l’économie mondiale, y compris européenne, à ne pas sombrer dans la déflation, permettant aux entreprises de survivre et aux ménages de consommer. Une fois l’incendie circonscrit, il sera bien temps de reconstruire « en dur » le temple de la monnaie.
Rédaction achevée le 15.01.2021
Auteurs : Olivier de Berranger, CIO et Alexis Bienvenu, Fund manager, LFDE
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