Photo: Maria Stäheli © Fisch Asset Management
Par Maria Stäheli, Gérante de portefeuille senior chez Fisch Asset Management, Zurich
Les acteurs du marché devraient boucler leur ceinture et se préparer à affronter de nouvelles turbulences. Depuis le creux provisoire atteint en octobre, ils ont pleinement profité de la période de reprise qui a suivi à la fin de l’automne et en hiver, galvanisés par la dissipation, au moins pour un temps, du spectre de l’inflation. Ce changement de sentiment a été déclenché par les températures clémentes en Europe qui ont évité une crise énergétique d’une part, et l’abandon de la politique «zéro Covid» en Chine, qui a dopé les perspectives de croissance en Europe d’autre part. Par ailleurs, les chiffres de l’inflation du quatrième trimestre ont montré que les banques centrales gardaient le contrôle dans leurs efforts visant à garantir la stabilité des prix. Mais depuis le mois de février, le sentiment de marché s’est brutalement inversé en raison de la dynamique des prix toujours forte. Le marché de l’emploi en surchauffe et la consommation soutenue offrent aux banques centrales la marge de manœuvre économique nécessaire pour poursuivre le resserrement de leur politique monétaire.
Pourtant, les taux d’intérêt ont déjà été relevés à un rythme record. La hausse cumulée des taux américains de 4,5 points de pourcentage en l’espace d’un an fait l’effet d’un remède de cheval non seulement pour l’inflation, mais également pour les marchés. Mais comme tout traitement, il faut le poursuivre jusqu’à ce qu’il agisse. L’inflation du mois de janvier, qui a été publiée en février, a surpris à un tel point que l’on peut se demander si la politique monétaire n’est pas encore trop accommodante. Le «délai long et variable» avant que les politiques budgétaire et monétaire ne fassent effet complique sensiblement la donne pour les décideurs. En outre, nombre des données publiées en février ont intégré des ajustements techniques, notamment les variations saisonnières, ce qui a contribué à la surprise des marchés. Il est donc particulièrement important de ne pas perdre de vue la situation d’ensemble. Aussi chaotique soit-elle, la fin du cycle est également synonyme d’opportunités.
La prise de risque a été payante dans l’environnement «Boucles d’or» de ces derniers mois: les segments qui présentent une sensibilité au risque relativement élevée, tels que les marchés émergents et le haut rendement (HY), mais aussi les secteurs cycliques, ont nettement surperformé. Cette période de «l’argent facile» arrive à son terme parce que la volatilité repart à la hausse sous l’effet des incertitudes liées à la politique monétaire. Lorsque la thérapie prescrite n’a pas encore pleinement agi sur un patient et doit donc être poursuivie, il faut s’attendre à de sérieux risques. Rapporté à la situation du marché, un tel traitement de choc monétaire pourrait entraîner une grève des acheteurs sur le segment des actifs risqués. Dans le même temps, l’intérêt des investisseurs devrait se reporter sur les formes de placement réputées plus sûres ou défensives, avec la qualité en ligne de mire. Dans le contexte d’une récession attendue ou au moins d’une dégradation notable des perspectives conjoncturelles, nous estimons que les obligations investment grade présentent de nets avantages sur leurs homologues HY. En effet, les émetteurs HY sont plus sensibles aux tensions économiques que les émetteurs IG, dans le sens où leurs marges bénéficiaires sont plus vulnérables à la pression croissante des coûts et où les risques de défaut augmentent. Les primes de risque du segment HY ont tellement baissé durant le rebond de marché baissier de ces derniers mois qu’il est possible de basculer vers le segment IG de meilleure qualité pour des coûts d’opportunité relativement faibles. À cela s’ajoute la sous-pondération des grands investisseurs (caisses de pension et assureurs-vie) induite par les rendements extrêmement bas des obligations IG depuis des années, ce qui devrait offrir un soutien technique au marché. Compte tenu de l’inversion de la courbe des taux, nous nous attendons à une hausse de la demande pour les échéances courtes et moyennes. Bien évidemment, l’on peut se demander si les instruments du marché monétaire ne constituent pas actuellement l’alternative la plus intéressante. Sur un horizon de quelques mois, ces titres pourraient tout à fait avoir leur place dans le portefeuille. Mais les investisseurs axés sur le long terme s’exposeraient à un risque de réinvestissement et ne profiteraient guère de la baisse des taux d’intérêt à moyen terme en cas de poursuite du resserrement monétaire.
Concernant la combinaison de devises et d’émetteurs, nous privilégions actuellement les emprunts en EUR à leurs homologues USD, dans la mesure où les rendements potentiels après déduction des coûts de couverture de change y sont plus élevés. Notre choix se porte présentement sur les emprunts en EUR d’émetteurs américains (dits «Reverse Yankees»), car ils permettent de gagner sur les deux plans : la solidité au niveau des fondamentaux et des primes de risques attractives.
Cependant, on observe un glissement progressif depuis le quatrième trimestre : les emprunts en EUR se sont raffermis ces derniers mois, ce qui a réduit leur avantage sur les titres américains, tandis que les coûts de couverture de change en USD ont sensiblement diminué pour les investisseurs de la zone euro (de 3,2 % en octobre à 2,1 % fin février sur la base des contrats à terme). En cause, le rapprochement des trajectoires monétaires de la Fed et de la BCE. Nous estimons que la courbe des emprunts d’État en EUR s’inversera encore sensiblement, dans la mesure où la BCE devra continuer le resserrement agressif de sa politique de taux pour pouvoir maîtriser l’inflation. En conséquence, les coûts de couverture en USD devraient encore diminuer, ce qui pourrait faire fondre l’avantage de rendement des emprunts en EUR sur les titres en USD en l’espace de quelques mois jusqu’à exercer une pression sur les prix des emprunts en EUR. Il convient de suivre de près cette évolution afin d’adapter progressivement le positionnement du portefeuille aux nouvelles conditions.
Sur le long terme également, nous estimons que les obligations d’entreprise IG suivront une trajectoire favorable. Même si nous devons nous attendre à une certaine volatilité des taux dans les mois à venir, nous croyons en l’effet du resserrement monétaire qui se reflète déjà dans les indicateurs avancés et les résultats des entreprises. Nous tablons donc sur un ralentissement marqué au deuxième semestre qui devra inciter les banques centrales à revoir leur programme de resserrement monétaire. Les emprunts de grande qualité devraient ensuite profiter de la baisse des taux, tandis que les risques fondamentaux pourraient entraîner des pressions à la vente sur les titres moins bien notés. Il pourrait donc être intéressant d’affronter les turbulences avec un positionnement qui offre aussi bien une protection appropriée qu’un potentiel de reprise.
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