Par Kevin Thozet, membre du comité d’investissement de Carmignac
Après une année 2022 marquée par l’inflation et un changement radical de la politique monétaire qu’elles menaient depuis plus de 10 ans, la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Fed) se réunissent la semaine prochaine chacune de leur côté. Des réunions à l’issue desquelles les annonces et décisions devraient être particulièrement suivies alors que s’ouvre un nouvel exercice financier pour les investisseurs.
Avec une inflation sous-jacente qui ne montre aucun signe de ralentissement, des salaires qui restent orientés à la hausse et des prévisions de croissance relevée pour 2023, il ne fait aucun doute que la BCE portera ses taux de dépôt de 2 à 2,5% le 2 février. D’autant plus qu’une telle hausse est largement annoncée par sa communication prospective (forward guidance), pour autant que l’on puisse s’y fier – une source de débat entre les investisseurs !
L’élément essentiel n’est donc pas de savoir « si » mais « combien de fois » un relèvement de 50 points de base (pb) d’affilée pourrait intervenir. Deux mois comme cela a été le cas pour la période de hausse de 75 pb, ou bien se prolongera-t-elle au-delà de mars ? Et si elle s’arrête, allons-nous rentrer ensuite dans une période de hausse de taux de 25 pb ?
Nous pensons que Christine Lagarde devrait maintenir une position ferme étant donné la vigueur inattendue de l’économie européenne depuis la dernière prise de position de la présidente de la BCE en décembre 2022. Sans oublier, le recul des attentes sur le niveau des taux qui sera atteint à la fin de ce cycle de resserrement monétaire dans le sillage de la baisse des prix du gaz.
L’attention devrait également se porter sur les détails du programme de resserrement quantitatif (Quantitative Easing) de la BCE. En effet, la réduction progressive de son bilan n’est pas sans soulever de questions. L’institut de Francfort a annoncé un rythme de resserrement de 15 milliards d’euros par mois pour commencer. Toutefois, elle n’a pas encore indiqué les effets sur les différents segments du marché obligataire (la BCE a acheté des obligations d’État, des obligations d’entreprises et des obligations sécurisées – covered bonds) et les différents émetteurs (les instruments achetés ont été émis par des pays qui ont des réalités économiques très différentes). Autant d’interrogations auxquelles il faudra bien répondre.
Aux États-Unis, les anticipations du niveau des taux qui sera atteint à la fin du cycle actuel de resserrement monétaire (le taux terminal) mené par la Fed sont restées résolument stables, oscillant autour de 5% depuis novembre dernier, lorsque l’inflation sous-jacente a enfin commencé à ralentir. Toutefois, la banque centrale américaine reconnaissant être davantage dépendante des statistiques économiques, tous les regards seront tournés vers les derniers chiffres publiés et plus particulièrement vers ceux de l’indice du coût de l’emploi (Employment Cost Index, ouECI). Cet indicateur fournit en effet une évaluation plus fiable et plus complète de la dynamique des salaires aux Etats-Unis et donc de l’inflation sous-jacente.
Nos attentes pour la réunion du 1ER février du Comité en charge de la politique monétaire de la Fed (Federal Open Market Committee, ou FOMC) découlent de nos propres prévisions relatives à l’ECI qui sera publié la veille. Selon notre analyse, l’indice du coût de l’emploi devrait s’établir à +1,2 % au quatrième trimestre de 2022, soit une hausse de 4,9 % en glissement annuel, ce qui est inférieur aux 5% publiés pour le troisième trimestre de 2022 et aux +5,1 % du deuxième trimestre de l’an dernier.
Si un tel chiffre pourrait signifier une désinflation des salaires, et donc un éloignement du risque de matérialisation d’une boucle prix-salaires, il n’en demeure pas moins discordant (ou inconfortablement plus élevé) par rapport à l’inflation salariale (+4%) suggéré par les chiffres de salaire horaire moyen récemment publiés.
À la lumière de ces éléments, la tendance à la désinflation se confirme. Cela signifie que la Fed devrait dorénavant augmenter son taux à un rythme plus « usuel » et procéder la semaine prochaine à une augmentation « normale » de 25 points de base, amenant les taux de dépôt à la frontière du taux terminal. Dans le même temps, la persistance de l’inflation salariale implique que les taux de dépôt seront soit portés à un niveau plus élevé que ce qui semble le plus communément anticipé, soit maintenus au niveau du taux terminal pour plus longtemps qu’escompté par les opérateurs de marché.
La prochaine réunion de la Fed laisse peu de place à la surprise. Les réunions de mars et de juin pourraient donner lieu à deux hausses supplémentaires de 25 points de base, soit plus que ce qui est attendu aujourd’hui. De même, dans la zone euro, la hausse des taux d’intérêt à court terme devrait se poursuivre.
A l’inverse, les rendements des échéances plus longues pourraient évoluer à la baisse. En effet, ils ont retrouvé leur valeur « protectrice », les taux d’intérêt réels étant de nouveau en territoire positif, et les bonnes nouvelles économiques étant de plus en plus nombreuses.
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