Deux études parues cette année dans la renommée revue scientifique Nature ont rapporté d’inquiétantes observations concernant l’état du Gulf Stream et plus globalement la circulation méridienne de retournement atlantique. Les déplacements de ces énormes masses d’eau au sein de l’Océan Atlantique Nord sont dictés par la densité, la salinité et la température des eaux de surface et des eaux profondes mais le dérèglement climatique en cours pourrait modifier ces équilibres. Le climat en Amérique du Nord et en Europe pourrait être fortement affecté mais la complexité des phénomènes en jeu et la connaissance partielle du lien entre courants marins et climat laisse la communauté scientifique dans le flou sur la dynamique de ces changements.
Le Gulf Stream est un courant marin de surface appartenant au système de circulation méridienne de retournement atlantique. Avec la chaleur accumulée par l’océan au niveau de l’équateur et des Caraïbes, il prend sa source dans les eaux tropicales chaudes du golfe du Mexique qu’il quitte en direction du Nord-Est après avoir contourné la Floride. Ce flux se divise, notamment en un bras qui vient lécher les côtes de l’Europe de l’Ouest : la dérive Nord-Atlantique.
Cet afflux de calories océaniques, combiné à la chaleur accumulée par l’océan durant l’été, confère à la zone européenne une certaine douceur hivernale. Elle serait à l’origine de la formidable prospérité agricole en Europe sur laquelle s’appuie son développement économique depuis des siècles. Aux mêmes latitudes, New-York, les Grands Lacs et le bassin du Saint-Laurent connaissent des hivers glacés et enneigés chaque année.
Arrivant au contact des eaux glaciales de l’Arctique, le courant atlantique devient plus dense, gagnant en salinité et plonge en profondeur avant de repartir vers le sud le long du continent nord-américain, selon le principe de la circulation thermo-haline. Drainant d’importantes masses d’air, ces déplacements marins ont un rôle majeur dans la régulation des climats régionaux, mécanismes qui restent encore à étudier pour mieux comprendre les enjeux et les équilibres climatiques. On commence à imaginer que la circulation de retournement atlantique peut être animée par deux régimes, l’un intense et puissant, l’autre faible et ralenti.
La hausse de la température moyenne mondiale est actée, engendrée par les émissions humaines de gaz à effet de serre. Celle-ci n’est pas près d’être jugulée et pourtant elle a déjà des effets visibles, en particulier sur la zone arctique, qui se réchauffe plus vite que le reste du globe. La banquise se réduit d’année en année et la calotte glaciaire du Groenland, masse froide de la région, subit les assauts de vagues de douceur inhabituelles. Fin juillet, un épisode de chaleur a fait perdre près de 22 milliards de tonnes de glace en une journée, soit l’équivalent de 5 cm d’eau recouvrant le territoire de la Floride…
L’étude de Niklas Boers parue dans Nature a montré que le Gulf Stream et son prolongement, la dérive nord-atlantique, étaient susceptibles de passer d’un régime puissant à un régime plus faible et les mesures effectuées sur les dernières décennies portent à croire que cet affaiblissement est enclenché. L’une des causes avancées est précisément le réchauffement de la zone arctique, qui crée, par la fonte de la calotte glaciaire, un afflux conséquent d’eau douce dans les eaux de l’Atlantique Nord. Les masses d’eau chaude devenant moins denses à cause de la salinité moins élevée ne plongent plus autant, ce qui perturbe la circulation globale dans l’Atlantique.
Dans le film « Le Jour d’après », sorti en 2004, une nouvelle ère glaciaire s’abattait brusquement sur le monde en conséquence d’une soudaine modification du Gulf Stream. Nous n’en sommes pas là mais le dernier rapport du GIEC fait état d’une certaine inquiétude quant au devenir de la circulation méridienne de retournement atlantique, dont la tendance à l’affaiblissement semble être durable pour les décennies à venir.
Les experts de l’ONU estiment eux, avec un niveau de confiance « moyen », que l’AMOC pourrait complètement s’arrêter. Les perturbations attendues se feraient sentir sur le climat en Europe avec des épisodes extrêmes (tempêtes, canicules, inondations, …) plus fréquents et plus intenses ainsi que des hivers globalement plus frais, voire froids. Le niveau moyen des océans va monter, entraînant des inondations côtières plus fréquentes, notamment lors des épisodes cycloniques et on pourrait voir des modifications sur le régime des moussons en Asie…
« On ne sait pas quel niveau de CO2 déclencherait un effondrement de l’AMOC. Donc, la seule chose à faire est de maintenir les émissions aussi basses que possible. La probabilité que cet événement à impact extrêmement élevé se produise augmente avec chaque gramme de CO2 que nous rejetons dans l’atmosphère », insiste l’équipe de chercheurs en Allemagne.
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