Pourquoi il faut s’attendre à un ralentissement de la conjoncture mondiale au second semestre.
Andrew Patterson, Senior International Economist, Vanguard
Au début de l’année, nous avions cité la persistance de l’inflation, les tensions sur les marchés de l’emploi et les hausses des taux directeurs comme les thèmes les plus importants. Rien n’a changé en milieu d’année, car les économies des pays industrialisés se sont montrées robustes. La situation sur les marchés du travail reste tendue, c’est pourquoi l’inflation recule plus lentement que prévu. La pression des salaires s’atténue, mais elle persiste en particulier dans le secteur des services. Les banques centrales ont dû relever leurs taux directeurs plus fortement que ce que nous prévoyions au départ.
Nous pensons qu’elles feront d’autres progrès dans la lutte contre l’inflation. Pour ce faire, elles devront cependant maintenir les taux plus longtemps à un niveau élevé, c’est pourquoi nous attendons un refroidissement de la conjoncture dans les mois à venir.
Les banques centrales ont progressé dans la lutte contre l’inflation, mais elles n’ont pas encore atteint l’objectif. Nous pensons que l’inflation sous-jacente, soit le taux d’inflation sans les prix des produits alimentaires et de l’énergie, va continuer à baisser dans les pays industrialisés jusqu’à fin 2023. L’inflation ne devrait cependant pas atteindre les objectifs des banques centrales, de 2% en général, avant fin 2024, voire 2025.
Il reste donc du travail. Nous n’avons jamais pensé que l’inflation allait se résorber d’elle-même, comme par magie, même avec la fin des problèmes d’approvisionnement liés à la pandémie. Par ailleurs, la pandémie a accéléré le changement démographique sur les marchés du travail. La forte demande en main-d’œuvre, qui peut exiger des salaires plus importants qu’avant, demande sans aucun doute une politique monétaire restrictive. La dernière ligne droite avant l’arrivée à l’objectif pourrait donc s’avérer particulièrement difficile pour les banques centrales.
De plus, nous attendons des différences régionales en fin de cycle. Les déclencheurs initiaux de la hausse de l’inflation étaient de nature mondiale, mais dans les derniers mètres, ce sont des facteurs locaux qui détermineront l’évolution de l’inflation: outre la demande et l’évolution du marché de l’emploi et du logement dans chaque région, l’ampleur des hausses de taux d’intérêt décidées par les banques centrales sera également déterminante.
Aux États-Unis, la Réserve fédérale américaine (Fed) a fait une pause après un cycle implacable de hausses de taux, mais elle a indiqué qu’elle devrait continuer à les augmenter.
Un ralentissement s’est produit début 2020, qui a duré seulement deux mois et a ainsi été la récession la plus courte en 150 ans. La reprise après cette récession se poursuit, malgré les cycles de relèvement de taux les plus agressifs de l’histoire de la Fed. La croissance (annualisée) est stable autour de 2%. Nous estimons toujours qu’une récession et très probable. Il est toutefois de plus en plus possible qu’elle commence non pas cette année, mais l’année prochaine. L’inflation sur le marché de l’immobilier résidentiel devrait se réduire au cours du deuxième semestre 2023 et retrouver en 2024 son niveau d’avant la pandémie. Le refroidissement des marchés de l’emploi devrait également faire baisser l’inflation dans le courant de cette année dans les secteurs des services (hors construction).
Dans nos prévisions initiales pour cette année, nous avions estimé qu’un affaiblissement du marché du travail (et de la croissance) était une condition préalable indispensable à une baisse des taux d’inflation. Or le marché de l’emploi avait manifestement d’autres projets et il est resté robuste même avec une désinflation continue: Le chômage reste en dessous de 4%, soit au niveau du début du cycle actuel de hausses de taux. Nous attendons toujours une détente de la situation du marché du travail.
En politique monétaire, les changements de cap agissent sur l’économie avec un retard important (et fluctuant). La Fed pourrait donc en conclure que les 500 points de base (5 points de pourcentage) avec lesquels elle a relevé les taux depuis mars 2022 seront suffisants pour repousser l’inflation au niveau du seuil cible de 2%; nous estimons cependant qu’au moins une nouvelle hausse de taux est probable.
Au quatrième trimestre 2022, l’économie de la zone euro a glissé dans une légère récession probablement déclenchée par la crise de l’énergie, qui s’est prolongée jusqu’au premier trimestre 2023. Nous attendons ensuite une courte phase de croissance et un nouveau ralentissement cette année ou la suivante, car la politique monétaire restrictive devrait déployer pleinement ses effets en Europe avec un certain décalage.
L’inflation dans la zone euro a nettement reculé; de plus, la baisse des prix de l’énergie devrait contribuer à ce que le taux de l’inflation globale continue à chuter dans les mois à venir. L’inflation des prix des services dépend de la croissance des salaires. Elle est donc plus tenace et déterminante pour nos prévisions d’inflation sous-jacente: nous pensons que celle-ci chutera à 3,3% d’ici fin 2023, soit encore nettement au-dessus de l’objectif d’inflation de 2% de la Banque centrale européenne (BCE).
La BCE a relevé ses taux de 400 points de base (4 points de pourcentage) en 12 mois; nous attendons une ou deux nouvelles hausses encore cette année. Le taux de dépôt, à 3,5% actuellement, augmenterait ensuite à 3,75% ou 4%, un niveau qui freine la croissance. (Le taux de dépôt est le taux d’intérêt annualisé que la BCE paie sur les dépôts au jour le jour.) Le taux de dépôt dépasserait alors nos prévisions d’inflation et serait deux fois plus élevé que notre estimation du taux d’intérêt neutre pour la zone euro, qui se situe entre 1,5% et 2%. (Le taux d’intérêt neutre est un taux d’intérêt théorique qui ne freine ni ne favorise la croissance.)
Pendant la pandémie, en 2020, le taux de chômage avait atteint un sommet de 8,6%, pour chuter à 6,5% en avril 2023. D’ici fin 2023, lorsque la lutte de la BCE contre l’inflation entrera dans sa deuxième année, ce taux devrait de nouveau augmenter entre 7% et 7,5%.
En Grande-Bretagne également, la force de l’économie surprend: nous avions compté initialement sur un recul de la production de biens et de services cette année. Nous anticipons désormais une croissance nulle. Nous pensons toutefois qu’une récession est plus probable qu’un atterrissage en douceur en Grande-Bretagne.
Dans les premiers mois de l’année 2023, plusieurs indicateurs, notamment les taux d’emploi et de croissance des salaires, ont montré la robustesse du marché du travail britannique. Les consommateurs sont en revanche plus pessimistes quant à l’évolution du marché du travail. Nous attendons une légère hausse du chômage entre 4% et 4,5% d’ici la fin de l’année.
L’augmentation des prix des services a entraîné l’inflation sous-jacente à son plus haut niveau depuis 30 ans en Grande-Bretagne, alors qu’elle ralentit dans de nombreux pays industrialisés. Comme la croissance des prix des produits alimentaires, de l’énergie et d’autres biens ralentit, ce sont surtout les prix des services qui devraient influencer l’inflation globale l’année prochaine. Nous avons corrigé nos prévisions de plus d’un point de pourcentage depuis le début de l’année et nous comptons désormais sur des taux moyens d’inflation sous-jacente et globale de 5,3% chacun.
En raison de l’inflation étonnamment élevée, d’un marché du travail robuste et d’une croissance des salaires en hausse, nous avons récemment relevé notre prévision pour le taux directeur de la Banque d’Angleterre de 75 points de base, à 5,5-5,75%, d’ici la fin de l’année, et nous continuons à prévoir de premières baisses de taux au plus tôt à la mi-2024.
En Chine, nous avons corrigé nos prévisions de croissance à la hausse et nous attendons maintenant une croissance de l’économie entre 5,5% et 6% cette année. Une grande partie de cette croissance est cependant derrière nous, c’est pourquoi nous attendons un refroidissement au cours du deuxième semestre. Le taux de croissance annuel devrait dépasser l’objectif prudent du gouvernement, mais trois années d’incertitudes politiques minent la confiance.
Le marché du travail s’est continuellement amélioré depuis la fin du confinement et le taux de chômage est tombé à 5,2%. Le chômage des jeunes a cependant atteint un niveau record et il représente un danger pour la croissance. À la fin de l’année, nous attendons un taux de chômage de 4,7%.
L’inflation était faible récemment grâce à la baisse des prix de l’énergie et de la viande de porc, mais elle pourrait remonter à la fin de l’année, avec l’augmentation de la demande de crédit et la stabilisation des prix de l’alimentation et de l’énergie. Néanmoins, nous avons presque réduit de moitié notre prévision initiale d’inflation et tablons désormais sur un taux d’inflation de 1% en glissement annuel d’ici la fin de l’année.
La Banque populaire de Chine a récemment réduit le taux d’intérêt de sa facilité de crédit à moyen terme sur un an à 2,65%, mais cela ne devrait pas avoir d’effet sensible sur l’économie. Nous pensons que de nouvelles réductions de 10 à 20 points de base (0,1 à 0,2 point de pourcentage) sont probables. Le problème de la Chine n’est toutefois pas le manque d’offre, mais le manque de demande d’argent. Or la probabilité de mesures incitatives agressives de la part du gouvernement est faible en raison de l’augmentation de l’endettement des collectivités locales.
Notre opinion sur les marchés émergents varie selon les régions: en Amérique latine, l’inflation semble avoir atteint son point culminant, mais nous pensons que les banques centrales ne baisseront que lentement leurs objectifs en matière de taux d’intérêt. En revanche, les pays émergents européens sont confrontés aux mêmes problèmes que la zone euro et le Royaume-Uni, mais dans une plus grande mesure. En Europe centrale et en Afrique, nous prévoyons une croissance d’environ 1% cette année et légèrement moins l’année prochaine, ainsi qu’un taux d’inflation de base à deux chiffres. Avec 5,25% cette année, les pays émergents asiatiques devraient connaître une croissance nettement plus rapide que les autres pays émergents, mais le taux de croissance devrait tomber à 5% l’année prochaine.
Lentement mais sûrement, l’inflation recule
Notes: nous indiquons à chaque fois les variations de l’indice des prix à la consommation de base (IPC) par rapport à l’année précédente. Les chiffres pour la fin de l’année 2023 sont des prévisions de Vanguard.
Sources: calculs de Vanguard sur la base de données du Bureau of Labor Statistics des États-Unis, d’Eurostat et de l’Office for National Statistics du Royaume-Uni, consultés sur Macrobond le 15 juin 2023
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