Par Chris Gannatti, Global Head of Research, WisdomTree
Avez-vous déjà entendu parler des « Luddistes » ? Le terme fait référence à plusieurs groupes de personnes qui ont détruit des machines en Angleterre, notamment dans les usines de coton et de laine, entre 1811 et 1816[1].
Pour quelle raison ont-ils agi ainsi ? Comme nombre d’entre nous, ils avaient peur du changement. Beaucoup d’employés travaillaient depuis longtemps dans les filatures de coton et de laine, et ils craignaient que l’introduction de machines ne les marginalise, ne les laisse sans emploi, et ne les empêche de subvenir aux besoins de leur famille.
Ce paradigme peut expliquer comment de nombreuses personnes envisagent l’IA aujourd’hui.
Dans un contexte industriel, les machines peuvent efficacement accomplir des tâches telles que le traitement du coton et de la laine. Ces types d’emplois impliquent peu de réciprocités entre humains – le coton n’exprime pas d’opinion sur la façon dont les choses se déroulent.
Le cas d’un guichetier de banque est différent, dans la mesure où chaque interaction interpersonnelle constitue une opportunité pour les deux parties d’apprendre et de rechercher une issue favorable pour tous. Même si la plupart des clients retiraient et déposaient des fonds au guichet avant l’introduction des DAB, il serait faux d’affirmer qu’ils ne se limitaient qu’à ce type d’opérations.
Une fois familiarisés avec le DAB, les clients ont semblé exprimer le besoin d’une interaction plus humaine et personnalisée en entrant dans l’agence, qui ne se limitait pas aux services offerts par le DAB. Plusieurs de ces services ont représenté une réelle plus-value pour les clients, créant ainsi pour la banque des opportunités d’augmentation progressive de son chiffre d’affaires[2].
Ainsi, alors que les machines ont réduit le besoin de main-d’œuvre dans les usines de coton, elles ont suscité une demande accrue de guichetiers de banque pour fournir des services à plus forte valeur ajoutée, allant au-delà du simple retrait et dépôt d’argent.
C’est la question essentielle : s’agit-il vraiment de remplacer entièrement les humains dans certains rôles OU plutôt de renforcer leur rôle en instaurant une relation de type pilote humain/copilote IA ? Microsoft a délibérément choisi de nommer certains assistants IA « Copilot », mettant en avant la valeur ajoutée de la collaboration entre l’utilisateur et l’IA, plutôt que de laisser l’IA opérer sans supervision.
Il est probable que la réponse soit nuancée, certains emplois semblant sur le point d’être « remplacés » par l’IA et d’autres étant susceptibles d’être « considérablement renforcés » par celle-ci.
En tentant de prédire à quoi pourrait ressembler l’avenir en abordant ces questions de science sociale, il peut être difficile de structurer l’analyse d’une manière qui permette d’obtenir des informations pertinentes.
La base de données O*NET couvre 1 016 professions, et détaille leurs activités et tâches professionnelles. La clé réside dans la décomposition des emplois en tâches. Ces tâches sont ensuite être évaluées en fonction de la perception qu’elles peuvent être réalisées de telle manière que l’accès à un LLM est susceptible d’entraîner un gain de temps d’environ 50 %. Il est évident que certaines de ces estimations impliquent des jugements, mais ce cadre permet d’associer les univers complexes des professions aux États-Unis aux capacités des LLM de manière à en tirer au moins quelques enseignements pertinents[3].
Certains travaux publiés indiquent fournissent les informations suivantes[4] :
Jusqu’à présent, le travail académique semble soutenir la « complémentarité » et le « renforcement » plutôt que le « remplacement ».
Les politiques et les décisions politiques peuvent être influencées à la fois par les récits personnels et les études académiques. Il existe des citations notables portant sur la capacité de l’IA à augmenter la productivité, en particulier dans le domaine du développement logiciel[5].
Le codage constitue un cas d’utilisation intéressant dans la mesure où les différentes approches assistées par l’IA peuvent directement contribuer à simplifier un processus qui nécessitait autrefois beaucoup de recherche sur Internet et d’essais infructueux. Nous n’avons pas encore entendu parler d’assistants d’IA accomplissant parfaitement les tâches 100 % du temps, et ceux qui s’attendent à la perfection ou quasi-perfection seront par conséquent déçus. Pour autant, l’IA permet d’affiner les processus et d’améliorer l’efficacité pour surmonter divers obstacles et défis.
La rédaction, ou copywriting, est une activité indépendante importante et flexible dont les praticiens se constituent généralement une clientèle dans un secteur particulier. Les conseillers financiers ont par exemple souvent besoin d’une variété de textes marketing pour leurs sites Web, brochures et e-mails. Il n’est pas logique pour eux d’écrire tout cela eux-mêmes : leur expertise consiste à travailler avec les clients sur la planification financière et les questions connexes. Travailler avec des rédacteurs constitue une solution de longue date, mais il est facile de supposer que ce type d’emploi risque fort d’être entièrement remplacé par les LLM.
En 2024, il se peut que les textes ne soient pas encore considérés comme « suffisamment bons » pour être remplacés par des rédacteurs humains, certains rédacteurs ayant été invités à « peaufiner » le travail des LLM, mais il est important de garder à l’esprit que les modèles peuvent évoluer et s’améliorer assez rapidement.
Ceci ouvre également une importante partie du débat sur le renforcement. Si un rédacteur, un codeur ou un traducteur effectue uniquement un travail de « base », il est possible que les LLM remplacent totalement ce travail. Le professionnel concerné devra alors monter en gamme, en se consacrant à des tâches plus complexes, que les LLM ne parviennent pas à accomplir aussi facilement. Cette démarche pourrait cependant nécessiter apprentissage et formation[6].
Un important modèle mental résidera dans la variété des cas. Si les gens attendent des LLM qu’ils exécutent des tâches dans leur intégralité, sans erreurs ni distorsions, ils risquent d’attendre longtemps. En revanche, s’ils cherchent à améliorer leur efficacité dans certaines tâches quotidiennes, l’IA est probablement prête à les aider immédiatement.
Nous devons garder à l’esprit les innovations passées, telles que la calculatrice ou l’ordinateur. Avant leur apparition, nous avions besoin d’individus extrêmement compétents pour effectuer des calculs mathématiques précis. Or, en 2024, nous disposons de si nombreux outils que cet aspect est devenu beaucoup moins important. Il est plus essentiel de comprendre les concepts intégrés dans les mathématiques que d’effectuer nous-mêmes les calculs. L’IA suivra probablement le même schéma : il sera moins important pour les individus de rédiger eux-mêmes un texte, mais plus important pour eux de comprendre les éléments d’un document de qualité, et comment modifier les résultats fournis par l’IA ou orienter de plus en plus efficacement la technologie dans cette direction.
[1] Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Luddisme
[2] Source : Weiss et al. « AI Index: Mapping the $4 Trillion Enterprise Impact. » Morgan Stanley Research. 1er octobre 2023.
[3] Source : Eloundou et al. « GPTs are GPTs: Labor market impact potential of LLMs. » Science. Vol 384, numéro 6702. 21 juin 2024.
[4] Source des puces : Eloundou et al. 21 juin 2024.
[5] Source des citations : Parker et al. « Leveraging AI to Drive Efficiency. » Morgan Stanley Research. 27 février 2024.
[6] Source : Mims, Christopher. « AI Doesn’t Kill Jobs? Tell that to Freelancers. » Wall Street Journal. 21 juin 2024.
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