Du lundi 16 janvier au vendredi 20 janvier 2023, la prestigieuse ville suisse de Davos a accueilli la grande réunion annuelle du Forum économique mondial, où se sont rassemblées les élites économiques et politiques. L’organisation non gouvernementale Oxfam a profité de cette occasion pour publier son rapport annuel sur les inégalités mondiales et proposer de nouvelles mesures de taxation des superprofits des grandes fortunes. Selon Oxfam, les dix personnes les plus riches du monde ont vu leur fortune doubler depuis le début de la pandémie, tandis que les revenus de 99 % de la population mondiale ont diminué. Cette tendance ne date d’ailleurs pas de la crise sanitaire et les grandes fortunes ont connu une croissance importante au cours des dix dernières années. Selon les chiffres rapportés par Oxfam, sur 100 dollars de richesse créée, pas moins de 54,40 dollars vont aux 1 % les plus riches et seulement 70 centimes profitent aux 50 % les moins fortunés. Cependant, les méthodes de calcul utilisées par Oxfam sont contestées par certains économistes.
Chaque année, l’étude d’Oxfam suscite de vives réactions. Et ce, que ce soit pour son caractère de procès à charge contre le capitalisme ou de témoignage des souffrances de la mondialisation. En effet, il est important de souligner que l’ONG se base en partie sur les données annuelles du Crédit Suisse sur la richesse mondiale, qui fournissent des informations permettant d’établir des estimations mais qui manquent parfois de précision. Une autre source d’informations d’Oxfam n’est autre que le classement des milliardaires dans le monde publié par le magazine économique américain Forbes, qui utilise la capitalisation boursière des grandes entreprises, un indicateur relativement volatil.
Malgré cela, le constat d’Oxfam selon lequel les plus riches continuent de s’enrichir n’est pas contesté. Selon Pierre-Noël Giraud, économiste et enseignant à Mines ParisTech et à l’université Paris-Dauphine, les inégalités de revenus ont peu augmenté, sauf pour les 10 % les plus riches dont le patrimoine tend à augmenter. Il indique de plus qu’il est important de distinguer les inégalités de revenus des inégalités de patrimoine financier, qui génèrent également des revenus. Les personnes les plus riches en effet sont celles qui obtiennent les rendements les plus élevés sur leur capital. Ainsi, ce phénomène est exponentiel : plus on est riche, plus on obtient un haut rendement de capital.
Au cours des vingt dernières années, les avancées technologiques ont conduit à la création de start-up telles que les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), dont les revenus du capital, autrement dit les revenus générés par des placements, ont explosé. Parmi les personnes les plus riches du monde selon le classement de Forbes figurent d’ailleurs notamment Jeff Bezos, le patron d’Amazon, et Mark Zuckerberg, le cofondateur de Meta (Facebook).
La richesse croissante des individus les plus fortunés de la planète est un phénomène qui n’a pourtant pas toujours existé. Toujours selon Pierre-Noël Giraud, les inégalités mondiales étaient moins importantes entre 1940 et 1980 en raison de l’isolement économique des nations. À titre d’exemple, en 1960, un patron japonais pouvait tout au plus gagner 3 fois plus qu’un ouvrier, alors qu’aux États-Unis, il était déjà possible pour un patron américain de gagner jusqu’à 100 fois plus. Cependant, la globalisation de l’économie à partir des années 1980 a entraîné une uniformisation mais aussi des augmentations spontanées des inégalités de revenus et de patrimoine. Cela s’explique notamment par le mécanisme économique de base qui consiste en une tendance naturelle des marchés à accroître les inégalités. Autre raison : depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980, lorsque Margaret Thatcher était au pouvoir au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux États-Unis, le capital n’est que peu taxé. Avant cette période, les dispositifs fiscaux étaient plus stricts pour les revenus et le patrimoine. De plus, la richesse des très hauts revenus est souvent transmise par héritage, ce qui alimente encore davantage les inégalités.
Selon Dominique Plihon, membre du conseil scientifique d’Attac France et des Économistes atterrés, il est possible que des raisons climatiques et écologiques freinent bientôt ce phénomène exponentiel et ce capitalisme effréné, considérés comme la cause des inégalités mondiales croissantes. Un ralentissement structurel de la croissance, dû à un important ralentissement des gains de productivité, serait en effet possible. Une telle situation pourrait alors peut-être ramener l’économie à une réalité plus terre à terre.
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