Les marchés émergents sous la pression de l’inflation

6 juillet 2021

Les marchés émergents sous la pression de l’inflation

Par Nick Eisinger, gestionnaire de fonds en charge des obligations des pays émergents, Vanguard

La reprise économique robuste aux États-Unis, avec les pressions reflationnistes qu’elle implique, pourrait être synonyme de difficultés pour certains marchés émergents. Cela se ressent tout spécialement sur le marché des bons du Trésor américain et, dans une moindre mesure, sur celui des obligations émises par le gouvernement fédéral allemand. Les craintes qu’une inflation hors de contrôle incite la Réserve fédérale américaine (Fed) et, à un degré inférieur, la Banque centrale européenne (BCE), à réorienter leurs politiques ont entraîné cette année une volatilité plus marquée sur le marché des taux et une augmentation générale des rendements réels et nominaux. Nous pensons que ni la Fed ni la BCE n’adopteront un changement soudain et que les pressions inflationnistes actuelles devraient se relâcher. Nous sommes néanmoins conscients d’un risque « extrême » ténu, mais grandissant, que ces deux institutions réagissent plus tôt que prévu face à la persistance des pressions inflationnistes. De plus, même si ce risque ne se matérialise pas, le marché obligataire lui continue de douter que les tendances à l’inflation ne soient que transitoires.

Une phase pénible attend tous les marchés émergents

Un changement d’orientation soudain de la Fed bouleverserait les marchés financiers, surtout si les taux d’intérêt réels partaient à la hausse (autrement dit, si les taux nominaux montaient plus rapidement que l’inflation sous-jacente ou le point mort d’inflation). Les actifs risqués, tant les actions que les obligations, pourraient s’en trouver malmenés, et les pays émergents seront plus que probablement en première ligne. Étant donné que ces marchés sont fortement tributaires de financements extérieurs et d’un dollar américain neutre à faible, un revirement brusque peut aisément les plonger dans la tourmente. Historiquement, les marchés émergents figurent toujours parmi les premiers affectés lorsque la Fed opère un tournant. Même si les fondamentaux sont plus solides que par le passé dans certains pays émergents, et si bon nombre de ces pays dépendent davantage de fonds locaux (et non étrangers), nous prévoyons malgré tout que les marchés émergents dans leur ensemble seront mis à rude épreuve.

Les économies se redressent à des rythmes différents

Dans ce contexte, un facteur important réside dans le rythme du redressement économique dans les marchés émergents, divergeant de celui des pays développés. Les marchés émergents dont la dette souveraine est de qualité investment grade affichent d’ores et déjà des signes indiscutables d’un redémarrage de l’économie. Par conséquent, les ministères des finances peuvent commencer à consolider les finances publiques et les banques centrales peuvent normaliser les politiques monétaires. Comme la Fed l’a fait remarquer, les pays émergents ne peuvent généralement pas se permettre le luxe de laisser leur économie surchauffer. Ils auront plutôt à cœur de mettre en exergue la crédibilité de leurs politiques monétaires. Dans de nombreux pays émergents, pour ceux avec une notation de crédit inférieure, le redressement est toutefois aléatoire et les politiques peinent à maintenir un soutien budgétaire ou monétaire accommodant. Pour la majeure partie des pays frontière, c’est-à-dire les plus faibles économiquement, les prix pétroliers élevés constituent à ce jour un atout majeur, car ils allègent la charge budgétaire et permettent une réduction moins drastique des dépenses.

La hausse des taux d’intérêts est déjà intégrée dans les cours dans des pays d’Europe centrale et orientale

Nombre de banques centrales des pays émergents confrontés à une montée de l’inflation ont déjà resserré leurs politiques ou annoncé un resserrement. Le Brésil et la Russie ont relevé leurs taux directeurs, et les cours le reflètent d’ores et déjà dans de nombreux pays d’Europe centrale et orientale, comme la République tchèque et la Hongrie. Eu égard aux redressements inégaux et relativement fragiles, il est peu probable que la progression s’emballe à ce stade, mais l’on peut difficilement imaginer que les politiques monétaires restent aussi conciliantes que par le passé. La prudence est donc de mise lorsqu’il s’agit d’adopter une exposition active aux taux ou à la duration des marchés émergents dans leur ensemble, même si l’on pourra trouver sporadiquement des opportunités attrayantes (p. ex. flatteners Afrique du Sud). Lorsque le cycle de resserrement sera terminé, il sera alors possible d’envisager de prendre de nouveau une exposition.

Conséquences des taux de change et du crédit

Les taux plus élevés dans les marchés émergents qu’aux États-Unis ont été par le passé et devraient rester un bon catalyseur pour l’adoption d’une exposition aux devises (FX) émergentes, spécialement dans notre scénario de base, où la Fed bouge lentement. Les actifs de ce type bénéficieront d’un différentiel de taux d’intérêt favorable et du rattrapage progressif de la reprise économique à travers les marchés émergents en comparaison avec les États-Unis. Une certaine circonspection s’impose toutefois, sachant que le positionnement dans les devises des marchés émergents attire de plus en plus d’investisseurs et qu’un revirement marqué de la Fed (dans notre scénario de risque extrême) pourrait donner lieu à des sorties massives hors des actifs émergents. Les devises des marchés émergents en subiraient une incidence négative, quels que soient leurs fondamentaux.

En termes de crédit, une puissante secousse inflationniste aux États-Unis, qui se traduirait par des décisions imprévisibles de la Fed, risque d’infliger des dommages substantiels aux marchés émergents, notamment dans les pays qui ont des besoins de financement considérables, comme la Turquie et une partie de l’Amérique latine. Les créances souveraines reposant sur de meilleurs fondamentaux seraient plus résilientes, mais de toute évidence, ils ne disposent que d’une maigre marge pour amortir des rendements plus élevés ou une faiblesse du Trésor américain. Dans le cas d’une augmentation modeste des rendements du Trésor américain, qui ne déclenche pas de sorties de fonds des marchés émergents ou de resserrement sensible des conditions de financement, on peut attendre une bonne performance des obligations souveraines high yield émergentes, grâce à leur différentiel de taux plus important leur permettant une absorption du choc.

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