Les marchés de capitaux français dans le tourbillon de la politique

24 juin 2024

<strong>Les marchés de capitaux français dans le tourbillon de la politique</strong>

Par Prof. Dr. Jan Viebig, Chief Investment Officer d’ODDO BHF SE

Les élections législatives françaises, organisées à la surprise générale, affectent les marchés des capitaux. Selon les sondages actuels, il est fort probable que l’alliance électorale de droite menée par le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen soit le bloc le plus puissant à l’issue des élections et qu’elle désigne le futur Premier ministre. Les incertitudes qui en découlent ont entraîné une nette baisse des cours du marché boursier français et un fort élargissement de l’écart de rendement entre les obligations d’État françaises et allemandes…

L’économie française est aujourd’hui relativement bien placée en Europe. Elle est confrontée à des problèmes similaires à ceux de tous les pays européens : pendant des années, il a fallu gérer les conséquences à long terme de la crise financière de 2008, puis la pandémie Corona. L’attaque de la Russie contre l’Ukraine en février 2022 a provoqué en France un choc économique similaire à celui de l’Allemagne. Mais l’économie française s’est mieux comportée que l’économie allemande ces dernières années. Pour l’année 2024 en cours, par exemple, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance économique de 0,7 pour cent pour la France, contre seulement 0,2 pour cent pour l’Allemagne.

Le grand point faible de l’économie française est avant tout les finances publiques. Depuis la pandémie de Corona, le déficit budgétaire a augmenté à 5,5 pour cent et se situe ainsi nettement au-dessus de la limite de Maastricht de 3 pour cent. Le taux d’endettement a atteint 110,6 pour cent du produit intérieur brut en 2023 et devrait continuer à augmenter dans les années à venir, même selon les projections actuelles du gouvernement à Paris. Jusqu’à la crise financière de 2008, le taux d’endettement se situait dans la fourchette des 60 pour cent exigés par le traité de Maastricht.

La nécessité de stabiliser l’endettement impose à tout gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, un cadre d’action étroit. Parallèlement, face aux difficultés financières de larges couches de la population, les électeurs réclament une plus grande implication de l’Etat. Le Rassemblement national se fait l’écho de ce sentiment et veut distribuer des bienfaits comme l’abaissement de l’âge de la retraite de 64 à 60 ans et réduire de nombreux impôts sur la consommation. L’ensemble des dépenses supplémentaires pourrait se chiffrer à 100 milliards d’euros, soit environ 4 pour cent du produit intérieur brut. Reste à savoir si un éventuel gouvernement du Rassemblement national s’engagera dans une épreuve de force avec les marchés obligataires.

Quel que soit le résultat des élections, il sera difficile de ramener le budget de l’État vers les plafonds de Maastricht. Les investisseurs étrangers sont particulièrement sensibles à la situation difficile des finances publiques. Selon le ministère des Finances, la part des obligations d’État françaises détenues par des étrangers est passée sous la barre des 50 % entre 2011 et 2022, pour ne remonter qu’à environ 55 % en 2022 et 2023. La France a besoin d’une politique financière fiable pour que les investisseurs étrangers soient prêts à financer le budget de l’État français.

Depuis un certain temps, la France est sous la surveillance des agences de notation. La convocation de nouvelles élections attire encore plus l’attention des analystes de crédit sur les finances publiques. « Les élections anticipées augmentent les risques pour la consolidation budgétaire », a-t-on appris lundi 10 juin 2024 de la part de l’agence de notation Moody’s. Moody’s attribue actuellement à la France la note Aa2, Fitch et Standard & Poor’s la note AA-, légèrement plus faible. Standard & Poor’s n’avait abaissé la note de la France que le mois dernier.

Compte tenu de l’incertitude politique, le rendement des obligations d’État françaises (OAT) à dix ans a nettement augmenté la semaine dernière et s’élève désormais à 3,2 %. En Allemagne, les emprunts fédéraux à dix ans rapportent actuellement environ 2,4 pour cent. L’écart de taux s’est creusé de plus de 30 points de base pour atteindre près de 80 points de base. Cette prime de risque est la plus élevée depuis 2012 et se situe au niveau de 2017, lorsque, outre Emmanuel Macron, Marine Le Pen était créditée de bonnes chances d’accéder à la présidence….

Depuis les élections européennes et l’annonce de nouvelles élections, l’indice boursier de référence CAC 40 a reculé d’un peu plus de 5 pour cent (au 19 juin). Ce n’est pas la panique, mais une réévaluation claire des risques. Les pays qui sauront le mieux relever les grands défis politiques – guerre en Ukraine, guerre dans la bande de Gaza, tensions croissantes dans les relations avec la Chine, issue incertaine des élections présidentielles américaines, pour n’en citer que quelques-uns – sont ceux qui font preuve de fiabilité politique et de sens des responsabilités et qui ne tombent pas dans le populisme. Ce qui se passe en France concerne tous les pays européens, en particulier ceux avec lesquels la France est liée par une union monétaire.

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