Les banques françaises et l’État français : « ensemble pour toujours »

5 juillet 2024

<strong>Les banques françaises et l’État français : « ensemble pour toujours »</strong>

Par Simon Outin, Director of Financials Research Global chez Allianz Global Investors

Les banques ont tiré les leçons de la crise de la dette souveraine européenne il y a plus de dix ans. Elles sont prêtes à faire face à une certaine volatilité à court terme de l’écart entre l’OAT et le Bund.  Mais la « boucle fatale » banques/souverains est toujours bien vivante, pour des raisons fondamentales.

1. Une volatilité importante mais de courte durée de l’ écart entre l’OAT et le Bund aurait un impact financier mineur sur les banques françaises d’un point de vue comptable et réglementaire. L’astuce, parfaitement légale, consiste à classer la grande majorité (plus de 90 %) de l’exposition souveraine au coût amorti, ce qui signifie que les variations de l’OAT n’ont pas d’impact sur la rentabilité ou les ratios de fonds propres réglementaires. Le résultat opérationnel généré par les banques françaises en 2023 est supérieur à la totalité de l’exposition souveraine de 43,6 milliards d’euros classée à la juste valeur.

2. Dans un scénario plus sévère impliquant un accès au marché obligataire difficile et prolongé pour l’État français et la pénurie de liquidités qui en suivrait, les multiples liens directs et indirects des banques françaises avec leur souverain deviendraient apparents et auraient de graves conséquences.

  • En additionnant l’ensemble des valeurs d’exposition directe divulguées dans le dernier exercice de transparence de l’ABE[1] par les six principales banques françaises, nous obtenons le chiffre impressionnant d’environ 1 500 milliards d’euros, soit plus ou moins  20 % du total. Tous les types d’exposition ne sont pas identiques. Nous pensons que pour que les dépôts des banques françaises à la Banque de France soient gelés, il faudrait que nous nous trouvions dans un scénario encore pire, dans lequel l’Eurosystème ne fonctionnerait plus. Comme ce scénario nous paraît peu réaliste, nous excluons les expositions à la Banque de France dans notre deuxième graphe banque par banque.

Source : ABE, AllianzGI données à la mi-2023, autres sources (voir note ci-dessous).

  • Les liens indirects joueraient également un rôle très important si la crise devait durer. Le premier, évident, concerne le coût de refinancement de la dette de gros des banques françaises, comme l’illustre la corrélation d’environ 70 % entre les écarts OAT-Bund et banques françaises-Bund (selon nos calculs internes). La seconde est plus nébuleuse, car l’État français serait contraint de se désengager de plusieurs politiques/initiatives/projets moins critiques qui se traduiraient en fin de compte par des pertes de crédit pour les banques françaises. De nombreux secteurs tels que l’agriculture, la culture ou la construction d’infranstructures dépendent fortement des subventions de l’État. Le chômage est un canal de contagion supplémentaire dans ce scénario baissier.

3. Les banques privées sont beaucoup moins exposées que les groupes mutualistes, la Banque Postale étant une exception compréhensible de par son appartenance à un groupe public. Les banques privées sont moins vulnérables parce que i) elles sont toutes bien diversifiées, avec des parts de marché de détail en France de 12-13% relativement faibles par rapport à leur taille globale, ii) elles n’étaient pas des distributeurs historiques des produits d’épargne réglementés (Livret A et autres), iii) elles ont toutes deux limité la part des OAT dans leurs portefeuilles d’investissement, et iv) elles ont réduit drastiquement leur financement aux autorités locales et aux entités du secteur public il y a plusieurs années.

Source : ABE, AGI, Données à mi-2023, Autres

N.B. : Nous avons utilisé des données sur les 6 plus grandes banques françaises qui représentent plus de 90 % des actifs bancaires nationaux comme une (bonne) approximation des banques françaises. Comme il est d’usage dans l’analyse bancaire, il y a beaucoup de lacunes et d’incohérences dans les informations communiquées, même si nous sommes partis de données réglementaires détaillées publiées dans le cadre de l’exercice annuel de transparence de l’ABE. Nous avons également contacté les services de relations avec les investisseurs des banques afin d’obtenir des éclaircissements sur les données de l’ABE. Enfin, nous avons formulé plusieurs hypothèses en nous appuyant sur des statistiques nationales publiées par la Banque de France et la Caisse des dépôts et consignations.

[1] L’autorité bancaire européenne

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