Par Aneeka Gupta, Director, Macroeconomic Research, WisdomTree
L’Europe est résolument engagée dans une course pour renforcer ses capacités de défense. Depuis l’invasion de l’Ukraine, plusieurs dirigeants européens intensifient leurs appels en faveur d’une augmentation des dépenses liées à la défense. Longtemps dépendant des garanties de sécurité des États-Unis, le continent vit aujourd’hui un tournant décisif. Les récentes mesures prises par l’administration américaine consistant à dialoguer avec la Russie sans consulter ses alliés européens ni l’Ukraine ont mis en évidence la nécessité urgente pour l’Europe de prendre en main sa propre défense. Cette réalité géopolitique a contraint les dirigeants européens à reconnaître que le fait de compter sur le soutien des États-Unis n’est plus une stratégie garantie, ce qui a accéléré les discussions sur l’indépendance des capacités militaires et les mécanismes de financement.
Avec des dépenses de défense nettement supérieures à celles de l’Europe, les États-Unis assurent depuis longtemps plus des deux tiers du budget de l’OTAN[1]. Selon les estimations de cette organisation, en 2024, 23 de ses 32 membres ont atteint le seuil des 2 % du PIB[2] consacrés à la défense, contre seulement sept en 2022 et trois en 2014[3]. Des discussions autour d’objectifs plus ambitieux sont en cours. La Pologne ouvre la voie avec un budget de défense de 4,12 % du PIB, tandis que les discussions au sein de l’OTAN suggèrent que certains pays pourraient avoir besoin d’augmenter leurs dépenses à 3 % ou plus1.
Illustration 1 : Dépenses de défense des alliés de l’OTAN après l’invasion de l’Ukraine par la Russie
Source : Atlantic Council, WisdomTree. Les chiffres de 2024 sont des estimations. L’Islande ne figure pas sur le graphique, dans la mesure où elle ne dispose pas d’une armée régulière. Les performances historiques ne garantissent pas les performances futures, et tout investissement est susceptible de perdre de la valeur.
L’initiative du Département américain de l’efficacité gouvernementale (DOGE), qui commence à remodeler les priorités des États-Unis en matière de défense, ajoute à la complexité de la situation. En instaurant des contrats à prix fixe en remplacement des contrats à prix coûtant majoré, le DOGE accentue la pression financière sur les entreprises de défense les plus exposées aux États-Unis, ce qui pourrait freiner leurs engagements budgétaires à long terme. Cette décision est susceptible d’avoir deux effets opposés : tout en limitant la capacité des États-Unis à financer la défense des pays européens par l’intermédiaire de l’OTAN, cela pourrait également inciter ces derniers à augmenter leurs achats nationaux et à réduire leur dépendance.
En outre, les menaces émergentes en matière de sécurité, notamment les guerres cybernétiques, les technologies militaires basées sur l’intelligence artificielle (IA) et la multiplication des régimes autoritaires, ont renforcé la nécessité d’investissements accrus dans la défense. La dépendance de l’Europe à l’égard d’équipements militaires obsolètes datant de la guerre froide est un autre facteur essentiel, qui pousse les dirigeants à moderniser leurs arsenaux.
L’augmentation des dépenses liées à la défense représente un défi colossal dans un contexte où l’endettement public pèse lourdement sur l’Europe. Les dirigeants étudient néanmoins plusieurs solutions innovantes afin d’obtenir les financements nécessaires. L’une des approches consiste à réaffecter les budgets existants de l’Union européenne (UE), les discussions portant sur la réaffectation des fonds de cohésion et des prêts de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) non dépensés. Les restrictions juridiques prévues par les traités de l’UE pourraient néanmoins limiter leur application directe aux dépenses militaires.
Une autre solution consiste à émettre des obligations européennes de défense, sur le modèle du fonds NextGenerationEU qui a soutenu la reprise après la pandémie. En regroupant les ressources au niveau de l’Union, cette solution pourrait offrir un mécanisme de financement coordonné et rentable.
Dans le même temps, les investissements privés et les partenariats public-privé gagnent du terrain. Les fournisseurs du secteur de la défense et les investisseurs institutionnels sont de plus en plus considérés comme des partenaires stratégiques dans le financement de projets à grande échelle, notamment en ce qui concerne les systèmes d’armes, la cyberdéfense et l’intelligence artificielle. Les gouvernements peuvent tirer parti de ces collaborations afin de promouvoir les achats et les avancées technologiques.
Malgré ces options, une chose est claire : l’Europe doit trouver un modèle de financement durable pour soutenir ses ambitions en matière de défense sans compromettre la stabilité économique. Qu’il s’agisse de financement au niveau de l’UE, de réaffectation des budgets nationaux ou de participation du secteur privé, il sera crucial de pérenniser l’investissement dans la défense pour renforcer la sécurité et l’autonomie stratégique de l’Europe.
Les actions européennes du secteur de la défense connaissent une forte progression depuis 2022 grâce à l’augmentation des carnets de commandes, aux contrats gouvernementaux, ainsi qu’à la prise de conscience que les dépenses militaires ne sont plus facultatives. Au cours de l’année écoulée, les actions européennes du secteur de la défense ont augmenté de 40,8 %, dépassant les actions européennes dans leur ensemble (+11,4 %)[4]. Elles se négocient à un ratio P/E[5] historique d’environ 14x, légèrement supérieur à la moyenne à long terme, mais toujours inférieur aux multiples les plus élevés[6].
Trois tendances clés alimentent la dynamique des actions du secteur de la défense :
Illustration 2 : Prévisions de croissance du secteur européen de la défense
Source : Données d’entreprise, Visible Alpha Consensus, WisdomTree, au 31 janvier 2025. Les prévisions ne constituent pas un indicateur des performances futures, et tout investissement s’accompagne de risques et d’incertitudes.
Le secteur européen de la défense entre dans une nouvelle ère d’investissement et d’autonomie stratégique. Face à l’augmentation des risques géopolitiques et à l’incertitude quant au soutien des États-Unis, les nations européennes prennent des mesures proactives pour bâtir un écosystème militaire plus robuste et autosuffisant. Malgré les difficultés de financement, l’augmentation des budgets, les investissements technologiques et les engagements envers l’OTAN rendent cette évolution inévitable.
Le soutien de l’UE aux réformes des achats renforce la position des actions de défense, notamment celles qui sont exposées aux secteurs terrestre (munitions, véhicules) et aérien (missiles, drones).
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[1] OTAN = Organisation du traité de l’Atlantique Nord (une alliance militaire transnationale intergouvernementale composée de 32 États membres).
2 PIB = produit intérieur brut.
3 Déclaration du Sommet de Vilnius 2023 de l’OTAN.
4 Bloomberg, les actions européennes du secteur de la défense sont représentées par l’indice MSCI Europe Aerospace & Defence et les actions européennes par l’indice MSCI Europe.
5 P/E = Price to Earnings (cours/bénéfices).
6 Bloomberg, au 31 janvier 2025.
7 TCAC = taux de croissance annuel composé.
8 BAII = bénéfice avant intérêts et impôts.
9 BPA = bénéfice par action.
10 Données d’entreprise, Visible Alpha Consensus, WisdomTree, au 31 janvier 2025.
11 Commission européenne : Communication conjointe au Parlement européen et au Conseil, août 2024.
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