Par Kunal Mehta, responsable de l’équipe de spécialistes obligataires, chez Vanguard, Europe
L’effondrement de la Silicon Valley Bank (SVB) aux États-Unis et le sauvetage de dernière minute du Credit Suisse (CS) ont ébranlé les marchés financiers et entamé la confiance dans le secteur bancaire.
Les récents événements autour de la SVB et du CS étaient des cas particuliers. Pour la SVB, il s’agissait d’une mauvaise gestion de son expansion et de sa gestion bilantielle. La banque avait investi les fonds issus de ses dépôts en croissance rapide dans des obligations à duration longue, sans mettre en place de protection contre le risque de hausse des taux. Sa tentative de lever des capitaux pour combler une perte sur son portefeuille de titres a semé la peur parmi ses déposants, qui étaient principalement des sociétés du secteur fortement concentré de la technologie, presque tous les déposants étant non assurés. Une ruée sur les dépôts s’en est ensuivie. Le cas du CS n’était pas très différent. La banque suisse était en pleine tentative de restructuration et de redressement à la suite d’échecs de gouvernance et de problèmes de rentabilité. Alors que la panique provenant du stress sur le secteur bancaire régional américain a gagné l’Europe, le CS est devenu une cible évidente des craintes des investisseurs. La perte de confiance dans la faisabilité d’un plan de redressement a conduit à des sorties de fonds de la clientèle. Craignant que la banque ne devienne illiquide et ne provoque éventuellement une contagion systémique, les autorités suisses sont intervenues et ont orchestré une fusion avec UBS, le groupe rival de services bancaires et financiers.
Nous ne pensons pas qu’il s’agisse ici du début d’une crise bancaire, mais plutôt d’une situation où certaines entités avec des problèmes préexistants succombent à des vulnérabilités exacerbées par la hausse des taux. Par rapport à la crise financière mondiale de 2007-2008, le secteur bancaire mondial est en bien meilleure posture et montre de meilleurs profils en matière de qualité des actifs ainsi que des niveaux supérieurs de capital excédentaire, ce qui servirait de coussin en cas de stress.
Cela dit, la situation est fluide et les risques sont élevés sur fond de resserrement monétaire et de récession imminente. Le doute a été semé au sujet du système bancaire et les marchés sont à l’affût du prochain «maillon faible» appelé à céder. L’environnement de taux d’intérêt plus élevés est globalement positif pour la rentabilité du secteur, mais la brusque augmentation des taux que nous avons connue exerce des pressions sur la qualité des actifs. Certains des risques à monitorer comprennent les concentrations de banques de niche dans des secteurs cycliques (comme l’immobilier et le transport maritime), ainsi que des expositions élevées à la dette souveraine dans certains systèmes bancaires. Comme l’ont montré les événements entourant la SVB et le CS, une fois que la confiance des investisseurs et des déposants est entamée, une pénurie de liquidités peut entraîner, à l’ère des réseaux sociaux, très rapidement la chute d’une banque.
Les indicateurs de liquidité des banques européennes sont solides et la qualité des portefeuilles de liquidités des banques est élevée, avec une part importante de trésorerie et une détention relativement limitée d’obligations évaluées au coût amorti (ce qui signifie que la plupart des titres du portefeuille sont déjà comptabilisés à la valeur de marché et que la probabilité d’importantes pertes cachées est donc limitée). Mais, au vu des indicateurs relativement solides du CS juste avant son acquisition forcée par UBS, les ratios de liquidité réglementaires (LCR) seront probablement remis en question en Europe. Dans l’ensemble, les déposants européens sont généralement plus «fidèles» que leurs homologues américains, compte tenu de la structure différente du marché (comme l’absence de vastes opportunités d’investissement sur le marché monétaire et d’alternatives dans la plupart des juridictions) et de la nature globalement granulaire des dépôts (orientés vers les déposants de détail et les PME). Toutefois, nous notons que les communications sur les dépôts assurés et non assurés sont limitées par rapport aux États-Unis. Nous avons également observé un rythme plus soutenable de croissance des dépôts en Europe par rapport aux États-Unis ces dernières années. De plus, la réglementation bancaire européenne a imposé des contrôles plus stricts sur le capital et la liquidité à toutes les banques, quelle que soit leur taille, contrairement aux États-Unis où les plus petites banques ont connu une législation plus souple ces dernières années. Enfin, les banques européennes ont accès aux facilités de trésorerie de la banque centrale: la BCE a récemment confirmé qu’elle était prête à mettre en œuvre des outils de soutien à la liquidité pour le système financier de la zone euro si le besoin s’en faisait sentir.
L’une des conséquences importantes des retombées des événements qui ont touché les banques régionales américaines et le CS est selon nous que, en raison de la baisse de confiance dans le secteur, les coûts de financement (à savoir les rendements sur la dette bancaire) ont augmenté, en particulier pour les petites banques et les structures d’obligations subordonnées. En retour, cela pourrait inciter les banques à durcir les conditions de prêt pour l’ensemble de l’économie, ce qui pourrait accélérer l’arrivée d’une récession.
Depuis le début de l’année 2022, l’argent devient plus cher. À mesure que les banques centrales augmentaient leurs taux d’intérêt, Vanguard s’est positionnée en faveur des obligations d’entreprise de qualité supérieure. Nous pensons toujours que les entreprises les plus faibles continueront à souffrir des conditions de financement difficiles et qu’un certain degré de prudence s’impose.
Lorsque l’argent est plus cher, les investisseurs sont plus exigeants sur la façon avec laquelle il est utilisé, le risque de perte étant plus élevé. Et lorsqu’il s’agit de prendre des décisions en matière d’allocation des investissements, le choix est susceptible de se faire au détriment des classes d’actifs et des structures plus risquées. En particulier, les investisseurs exigeront une prime de risque beaucoup plus élevée pour les instruments subordonnés et les obligations convertibles contingentes. Bien qu’il s’agisse de classes d’actifs bien établies et reconnues, ces instruments sont plus complexes et, dans une large mesure, n’ont pas été testés dans le cadre d’une crise de grande ampleur.
Les facteurs techniques ont joué un rôle disproportionné sur le marché obligataire européen au cours de la dernière décennie. En tant qu’acheteuse obligataire majeure par l’intermédiaire de son programme d’assouplissement quantitatif, la BCE a joué un rôle de stabilisatrice du marché dans toutes les situations de volatilité (comme la pandémie de Covid-19), soutenant la liquidité du marché et permettant aux entreprises de lever des fonds sur le marché. Cette fois-ci, cependant, nous nous dirigeons vers une récession potentielle sur fond de durcissement de la politique monétaire.
Nous pensons que les fondamentaux sont plus que jamais d’actualité. La dislocation du crédit devrait augmenter et les analyses fondamentales apporteront plus de valeur aux portefeuilles des investisseurs par le biais d’une gestion active. Une sélection soigneuse d’émetteurs résilients, une recherche approfondie et une analyse rigoureuse des scénarios et des tests de résistance (c’est-à-dire la capacité des banques de résister aux sorties de titres non garantis susceptibles de faire l’objet d’une liquidation) est donc essentielle.
De plus, les événements récents dans le secteur bancaire et en particulier le traitement des fonds propres additionnels de catégorie 1 (AT1) dans la résolution du cas du CS rappellent aux investisseurs qu’il est primordial de comprendre la nature des papiers achetés, tout autant que de prendre en compte des rendements qu’ils peuvent offrir. Les OPCVM de Vanguard ne comprennent pas d’obligations AT1, en grande partie parce que nous considérons que les rendements ajustés du risque de ces instruments sont peu attractifs par rapport aux obligations seniors, plutôt qu’en raison de la nature même de ces instruments. Le succès de l’investissement obligataire repose donc toujours sur la protection contre le risque de baisse, au même titre – sinon plus – que sur la captation de rendements plus élevés.
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