Photos © 2 rue Saint-Georges
Monde Économique : Bénédicte Kodjo, vous avez près de 25 ans d’expérience en communication, quels sont les changements majeurs qu’a connu votre secteur d’activité ?
Bénédicte Kodjo : Premier changement clé : la temporalité, le rapport au temps. Il y a une quinzaine d’années , la communication offrait un début et une fin, les prises de parole s’organisaient dans un cadre temporel donné ; aujourd’hui, avec la révolution numérique, nous opérons dans une immédiateté permanente, voire fugacité, qui oblige entreprises et marques à parler en continu. L’application Snapchat est assez symptomatique de cette réalité.
Un autre élément indissociable du temps, c’est bien sûr l’espace. Les contours des marques ont changé. La nécessité de démultiplier la prise de parole en fonction des supports, canaux, etc. a repoussé et étendu les frontières des marques. Celles-ci ne sont plus des unités fermées -avec des pourtours bien circonscrits et des panneaux « propriété privée »- mais ouvertes dont chacun peut se saisir. Les frontières s’élargissent ainsi à d’autres champs annexes, connexes, parallèles…
La data, les indicateurs de performance, ont d’autre part engendré une communication de la performance, qui peut littéralement être ajustée, optimisée en temps réel. On est arrivé par exemple à des modèles où les annonceurs ne paient que lorsqu’ une action est accomplie (clic, renseignement de formulaire, etc.)… Ceci a impacté les processus créatifs et le visage des équipes marketing.
Sans compter le glas de la fameuse « big idea » au profit des « small ideas » avec une date de péremption de plus en plus courte, l’hyperspécialisation des acteurs… Bref un vrai tsunami, il y aurait encore beaucoup à en dire.
Monde Économique : Qu’en est-il des défis/enjeux auxquels le secteur de la communication est confronté ?
Bénédicte Kodjo : Entreprises et marques se retrouvent dans un espace immense, ouvert 24/7 qu’il faut meubler ; où il faut exister pour ne pas se perdre et qu’on ne vous oublie pas. Tout le monde n’est pas Apple, Nike ou Amazon ! Enjeu N°1 : comment communiquer en permanence quand on n’a pas forcément quelque chose à dire et que le temps d’attention a rétréci? Vous avez d’autre part entendu parler du « content shock ». L’humanité produit plus de contenus qu’elle n’a de temps pour les consommer. Ne pas céder à l’inflation communicationnelle, savoir parfois scénariser son silence s’avèrent clé. Mais l’enjeu fondamental à mon sens demeurent la force, la permanence de l’identité et du territoire de marque. En d’autres termes, comment ne pas perdre de son intensité et de sa pertinence dans tout ce brouhaha ? Construire des marques pérennes mais aussi fluides, intuitives, hybrides. Là est la question. On en revient toujours aux fondamentaux.
Monde Économique : Vous avez travaillé pour le compte de grandes marques et dans des agences internationales, puis comme consultant sénior indépendant, ce sur une pluralité de marchés internationaux. Pourquoi la création de 2 rue Saint-Georges aujourd’hui ? Qu’entendez-vous apporter de nouveau ?
Bénédicte Kodjo : Le propos de 2 rue Saint-Georges découle de tout ceci. Une volonté de ne pas instrumentaliser ou banaliser la communication. De replacer sa vocation essentielle au centre de l’équation: faire sens. Ce qui est très différent de faire du bruit. Prendre le temps de bâtir de vraies identités de marque et non des identités de papier. Accompagner de beaux projets transformateurs, pas des égos. Saint-Georges c’est la figure emblématique de celui qui a vaincu le dragon. Nous souhaitons faire de même : combattre le déjà vu, les idées faciles et prédatrices. Avec toute la rigueur de l’expertise, la beauté de la création et l’extraordinaire champ des possibles qu’offre la technologie.
Monde Économique : Quelques conseils pour les CEO, leur communication ?
Bénédicte Kodjo : De silencieux par le passé, ils/elles sont devenus.es plus diserts.es. L’époque l’exige. Les réseaux sociaux des CEO sont d’ailleurs plus suivis que les comptes des entreprises qu’ils/elles dirigent. Pourquoi ? Le Edelman Trust Barometer de 2021 révèle que les individus accordent leur confiance aux entreprises et particulièrement aux CEO plutôt qu’aux gouvernements et aux media. 86% les attendent sur les questions d’ordre sociétal tandis que 68% les jugent fondés à se substituer à l’action publique quand la situation le requiert ! Mais les CEO n’ont pas forcément le verbe facile. Contrairement à une idée très répandue, la moyenne d’âge des CEO en Europe ne cesse d’augmenter et se situe aux alentours de 53 ans. Issus.es de la génération X, ce ne sont pas des digital native. Si certains maitrisent parfaitement les nouveaux codes de la communication, d’autres s’y acculturent petit à petit. Quatre règles simples à observer : Personnalisation, (attention aux discours désincarnés qui sont légion), transparence (l’opacité est rédhibitoire !), substance et accompagnement car la communication à ce niveau ne s’improvise pas.
Monde Économique : Une tendance particulièrement intéressante à observer ?
Bénédicte Kodjo : A moins d’habiter sur Mars, difficile de ne pas constater l’explosion des NFT depuis la fin 2020. J’en ai moi-même produit pour mes clients. Mais au-delà du battage médiatique, c’est la conquête du métaverse qui se joue. Le groupe Méta vient d’introduire il y a quelques jours Horizon Worlds, son métaverse en Europe. 120 milliards de dollars ont été investis dans le métaverse en 2022. On prévoit que d’ici 2026, 25% des internautes évolueront dans le métaverse. Mc Kinsey souligne de son côté que 15% des revenus générés par les entreprises proviendront de l’économie du métaverse en 2030. Les expériences immersives connectées et partagées du métaverse vont métamorphoser l’expérience utilisateur, ce dans tous les secteurs. Et plus vite qu’on ne l’imagine.
Bien sûr, le métaverse reste un grand chantier d’un point de vue légal, technologique mais de grandes marques y sont déjà présentes ou s’y implantent, de Balenciaga à Axa. Il est important, pour toute entreprise d’intégrer cette donnée dès aujourd’hui et d’en mesurer les différentes implications. Tant sur leur proposition de valeur que sur leur image et leur communication. Jusqu’à leur identité graphique. Le métaverse étant un univers 3D, une identité de marque ou un logo tels que nous les connaissons dans notre réalité physique diffèrera dans un contexte virtuel. Cela va nécessiter de nouvelles expertises (réalité augmentée, réalité virtuelle, intelligence artificielle). Une nouvelle façon de penser, de parler… de combiner espace physique, réel et virtuel dans les discours et expériences de marque. Il faut s’y préparer.
2 rue Saint-Georges en partenariat avec Coinception -une agence française spécialisée dans l’expérience digitale du futur- lancera d’ailleurs dès le mois d’octobre une offre dédiée : celle-ci permettra à nos clients de créer ou d’enrichir leur méta -récit. De belles aventures en perspective !
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