Photos © édition Karthala
Par Solenn Gaïa
C’est un ouvrage très atypique que vient de publier la maison d’édition Karthala sous le titre « 25 lettres au président Bazoum – président, résistant, prisonnier ». L’exercice est inhabituel car la situation est hors normes. Depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023 qui l’a renversé, le président du Niger Mohamed Bazoum vit séquestré avec son épouse mais refuse toujours de démissionner. Dans 25 lettres, 26 personnalités lui adressent un message de soutien et se battent contre le risque de l’oubli.
Dans les deux pièces de sa résidence où il vit confiné avec son épouse, les mois passent et la séquestration du président Bazoum s’inscrit désormais dans la durée. Au bout de 18 mois, une certaine indifférence a succédé chez ses pairs ouest-africains à la mobilisation des débuts. Lors de leur dernier sommet en décembre à Abuja, les mêmes qui un an et demi plus tôt parlaient de le délivrer par les armes, ont à peine évoqué son nom. Pour combattre cette passivité qu’ils dénoncent comme de la lâcheté, la journaliste et consultante française Geneviève Goëtzinger et l’avocat malien Mamadou Ismaïla Konaté ont eu l’idée de solliciter ensemble un certain nombre de personnalités, afin qu’elles s’adressent directement au président otage. Cela donne un plaidoyer puissant et des lettres d’une très grande diversité, pour certaines poignantes.
La démarche est forte : prendre la plume, articuler une réflexion à travers un message écrit, signifier une solidarité. Ces 25 lettres, parfois intimes et personnelles, parfois d’une tonalité plus juridique ou politique, reflètent les personnalités de leurs auteurs, leurs différentes sensibilités, leurs parcours. Mais au-delà de cette diversité, elles expriment toujours la même indignation face au calvaire que traverse cet homme et son épouse et devant l’inertie de la communauté internationale.
Depuis le 26 juillet 2023 l’ancien président du Niger et son épouse sont privés de tout contact avec le monde extérieur. Toute visite leur est interdite à l’exception de celle de leur médecin. Leur téléphone leur a été retiré et ils n’ont pas l’autorisation de se promener à l’extérieur de cet espace clos. Pour avoir géré le problème avec une forme de brutalité et sans doute de maladresse, la CEDEAO – Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest -, apparait aujourd’hui impuissante et même disqualifiée. Comme le Mali et le Burkina, le Niger a d’ailleurs claqué la porte de l’institution régionale pour rejoindre l’Alliance des Etats du Sahel à partir de ce 29 janvier 2025. La situation apparaît totalement bloquée et le temps qui passe contribue à invisibiliser le président.
Les hommes et les femmes qui ont accepté de se prêter à l’exercice proposé par Geneviève Goëtzinger et Me Konaté, sont le plus souvent Africains. Parmi eux, des hommes politiques renommés, d’anciens chefs de gouvernement ou élus de premier plan, des intellectuels, écrivains, journalistes, activistes et de nombreux avocats. Tous témoignent d’une très grande considération envers le président victime du coup d’état. Au fil des pages, on retrouve des mots identiques pour décrire un démocrate sincère, un homme courageux, intègre, guidé par la volonté d’instaurer une gouvernance vertueuse et efficace. De nombreux auteurs connaissent bien le président avec qui ils ont entretenu des liens politiques ou bien d’amitié. Certains ne le connaissent pas personnellement mais tiennent à lui exprimer ce respect que sa personnalité et son action suscitent en eux.
Parmi les lettres particulièrement fortes, celle de Kiari Liman Tinguri, compatriote de Mohamed Bazoum et ancien l’ambassadeur aux Etats-Unis jusqu’au putsch. On ressent une vraie colère dans ses mots lorsqu’il dénonce « l’acharnement des geôliers du président à détricoter point par point tous les acquis de 30 ans d’efforts de participation populaire à la gestion du pays ». Il décrit « un pays réel affligé par l’extension de l’insécurité et par une aggravation de la pauvreté et de la précarité depuis le coup d’état du 26 juillet 2023 ».
La co-initiatrice du projet, Geneviève Goëtzinger a des accents d’émotion pour évoquer « une séquestration insupportable qui suscite en elle tristesse et colère ». Elle parle de Mohamed Bazoum comme « d’un homme libre passionnément libre, infiniment libre », et a cette phrase : « lorsque je pense à vous, c’est à la liberté que je pense ». Le paradoxe n’est à ses yeux qu’apparent puisqu’elle rattache cette liberté à son refus de démissionner, cet « esprit de résistance » que symbolise aujourd’hui l’ancien président, comme hier Nelson Mandela.
Dans un texte empreint sensibilité, l’écrivain guinéen Tierno Monénembo établit cette même comparaison entre président Bazoum et le héros de la lutte contre l’apartheid. Il écrit : « le supplice que vous subissez aujourd’hui, c’est le même que Madiba a subi tout au long de sa pénible existence et c’est le prix d’un double idéal, celui de l’unité et celui de la liberté ». Me Konaté reconnait de l’admiration envers le président destitué, née de son « obstination à dire non à la violation du droit ». Il évoque « une âme à la fois humaine, sentimentale et idéaliste ».
Pour l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall : « cette infamie n’est pas seulement faite contre un homme. Elle couvre de honte tout un continent et le plonge davantage dans l’incertitude ». L’ancien Premier Ministre ivoirien Pascal Affi N’Guessan ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque « une tragédie politique qui s’inscrit dans un inquiétant contexte de régression régionale ».
Alors, quel peut être l’impact de cet ouvrage ? Au Niger où il demeure interdit à la vente, le livre circule beaucoup sous le manteau en version numérique, au grand dam de la junte. Décrit par ses promoteurs comme « une étape dans un combat qui ne prendra fin qu’avec la libération de Mohamed Bazoum », il s’inscrit dans un mouvement de fond impulsé désormais davantage par personnalités engagées pour la démocratie que par des chefs d’Etat en exercice. Des tribunes, un site internet, une pétition www.freebazoum.com participent aussi à cette mobilisation. Destinées à entretenir la flamme, les « 25 lettres au président Bazoum » apparaissent incontestablement comme un appel au sursaut, un temps fort de cet engagement collectif planétaire.
https://www.karthala.com/accueil/3620-25-lettres-au-president-mohamed-bazoum-philosophe-prisonnier-et-resistant.html
Retrouvez l’ensemble de nos articles Inspiration