Parmi ses prérogatives, l’État doit bien sûr veiller à ce que les services publics fonctionnent correctement, mais également que les infrastructures dont il a la charge restent en bon état. Avec le creusement de la dette et son explosion due à la crise sanitaire et économique, l’État est plus que jamais dans une position délicate.
Quoi qu’il en coûte ! Ces mots prononcés par Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 12 mars 2020 ont marqué les esprits. Le Président de la République s’était alors dit déterminé à engager les moyens nécessaires pour faire face à la crise sanitaire et économique qui frappe durement notre pays depuis l’apparition du coronavirus. Après une première enveloppe de 470 milliards de mesures d’urgence débloquée depuis le printemps, le gouvernement a dévoilé le 3 septembre dernier France Relance, un plan de relance de 100 milliards d’euros supplémentaires pour redresser rapidement et durablement l’économie française. Ces premières coûteuses mesures ont considérablement impacté le déficit budgétaire de l’État, qui s’est creusé de 50 milliards d’euros. La logique est la même pour la dette publique de la France qui a littéralement explosé depuis le début de la crise. Une situation qui ne présage rien de bon quant à la capacité d’investissement de l’État dans certains secteurs où de grands travaux sont pourtant nécessaires.
Le réseau ferré a un train de retard
Avec 30000 kilomètres de voies ferrées sur la totalité de son territoire, la France n’a pas à rougir de son réseau ferroviaire qui la classe en deuxième position sur le continent européen, juste derrière l’Allemagne. Pourtant, nombre d’usagers jugent le service rendu par les trains français insatisfaisants. Il faut dire que, depuis plusieurs années maintenant, le mauvais état des voies ferrées est pointé du doigt. Un audit réalisé en 2018 pour le compte de SNCF Réseau mettait déjà en exergue une dégradation des infrastructures ferroviaires sur la quasi-totalité du réseau, la faute à un sous-investissement important depuis trente ans. Un constat préoccupant confirmé l’année suivante par une enquête de l’Etablissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) qui a mis en lumière « un écart majeur sur le niveau de maîtrise du processus de maintenance de l’infrastructure » par rapport aux nécessités : anomalies de signalisations électriques, câbles défectueux, fils électriques rongés, boulons mal serrés ou absents… la liste des problèmes de maintenance était alors bien longue et le rapport s’inquiétait du manque de réactivité de la SNCF pour les résoudre, et surtout de la dangerosité que pouvaient avoir ces manquements sur la circulation des trains. Un comble lorsque l’on constate que les budgets alloués au train restent très élevés.
L’allocation des ressources ne semblant pas optimale, le Plan de relance tente de gommer ces difficultés en visant l’amélioration de la qualité du réseau ferroviaire afin d’augmenter l’offre de trains dans ses différents usages, notamment le fret. Il s’agit également de réinvestir, aux côtés des Régions, dans les lignes de desserte fine du territoire pour augmenter l’offre dans les territoires moins denses et mieux les relier aux zones urbaines, notamment lorsqu’il n’existe pas d’autre mode de transport adapté. Un revirement de situation bienvenu quand on sait que, pendant de nombreuses années, l’État et la SNCF ont largement privilégié les lignes de TGV, plus prestigieuses et flatteuses en termes d’image, au détriment des voies classiques. Pour soutenir cette mesure, France Relance prévoit un effort supplémentaire d’investissement de l’État de 4,7 milliards d’euros.
Vers des routes en déroute
Côté infrastructures routières, le réseau français est lui aussi victime du manque d’investissements chronique de la part des pouvoirs publics. Ce problème est désormais sur le bureau de Jean-Baptiste Djebbari, actuel ministre délégué aux Transports, mais il n’a pas encore trouvé de réponse à la hauteur des enjeux. En 2017, déjà, un rapport du Sénat pointait du doigt le fait que le réseau routier était en danger. Ce document déplorait une « baisse des crédits
attribués à l’exploitation et à l’entretien du réseau routier national » alors qu’il aurait fallu, au contraire octroyer des moyens suffisants à cet entretien, et de façon pérenne. Pourtant, un an plus tard, aucune inflexion n’avait été constatée puisqu’un audit externe commandé par le ministère des Transports en 2018 dressait un constat alarmant de l’état des routes françaises : sans changement de politique majeur sur les infrastructures dans les prochaines années, plus de 60 % des chaussées seront très dégradées d’ici 2037. À l’époque, Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire avait reconnu que « le sous-investissement des dernières décennies a été manifeste sur le réseau routier non concédé ».
L’État n’a pas su réaliser les investissements nécessaires contrairement au secteur privé qui a la charge d’une bonne partie du secteur autoroutier. L’État a, en effet, confié la gestion de nombreuses autoroutes à des sociétés concessionnaires autoroutières (SCA) et les conclusions quant à l’état de ces infrastructures sont bien différentes. Dans un rapport publié en novembre dernier, l’Autorité de régulation des transports met en avant l’excellent état des autoroutes concédées. « Les infrastructures autoroutières présentent en effet de forts atouts en termes de confort, de sécurité et de vitesse, si bien que les autres infrastructures de transport apparaissent comme des substituts imparfaits », soulignait ce rapport. Il n’est pas certain qu’elles seraient en aussi bon état si l’État avait dû débourser les milliards d’euros investis par les SCA pour les construire et les entretenir, car comme le soulignait déjà Jean-Paul Chanteguet en 2014, l’État aurait été bien incapable de financer les travaux nécessaires. Et avec la dette qui ne cesse d’enfler, il y a fort à parier que cette situation n’aurait fait qu’empirer. Les SCA, elles, se sont engagées contractuellement à mettre les sommes nécessaires afin de restituer les autoroutes en bon état au terme des concessions.
Les ports français boivent la tasse
Dans notre économie mondialisée où 90% des échanges de marchandises se font par bateau, la France jouit d’un bel avantage avec plusieurs milliers de kilomètres de côtes, en métropole comme dans les territoires d’outre-mer. Fort de ce littoral, le système portuaire français est relativement bien étoffé, avec 66 ports de commerce maritimes, dont douze ports maritimes d’État, et plus de 500 ports décentralisés, dont certains sont d’importants ports de commerce. Pourtant, malgré ce nombre conséquent, notre pays semble ne pas tenir le rang qu’il devrait avoir en termes de transport maritime : selon des chiffres datant de 2017, pas un seul des ports français ne figure dans le classement des principaux ports de marchandises dans le monde. Et même au niveau européen, la France ne classe qu’un seul de ses ports, Le Havre, parmi les vingt premiers ports à conteneurs de notre continent, très loin de Rotterdam, Anvers et Hambourg. Selon un rapport de la mission d’information du Sénat sur la gouvernance et la performance des ports maritimes français paru en juillet 2020, seulement 310 millions de tonnes de frets ont transité dans les 7 grands ports maritimes (GPM) de métropole et Calais, contre 470 millions pour le seul port de Rotterdam, en 2019.
Du côté des ports eux-mêmes, pourtant, de nombreuses initiatives sont prises pour moderniser leurs infrastructures. Le port de Marseille-Fos, par exemple, a entrepris de grands travaux, comme la construction de la future gare maritime internationale du Cap Jenet ou l’agrandissement des quais conteneurs. Et les améliorations à venir sont nombreuses puisque le port a annoncé son intention d’investir 342 millions d’euros d’ici 2024. Plus modeste, le port du Tréport, en Normandie, a lui aussi lancé plusieurs chantiers de modernisation pour les activités de pêche comme de transport de marchandises. Des actions qui vont évidemment dans le bon sens puisque l’État lui-même s’est engagé à investir 200 millions d’euros dans le cadre de France Relance pour rendre les ports plus attractifs et plus compétitifs. Reste que, pour la mission du Sénat, la somme est loin d’être suffisante. Selon elle, il faudrait investir 5 milliards d’euros sur dix ans pour améliorer la compétitivité des ports français. Mais pour Christian Buchet, directeur du Centre d’études de la mer de l’Institut catholique de Paris, l’argent n’est pas le seul nerf de la guerre. Selon lui, il est impératif que l’État lance « un grand plan de désenclavement géographique afin de permettre à ces deux grands ports d’intérêt national que sont Le Havre et Marseille de gagner en rayonnement économique, et donc d’être créateurs de richesses et d’emplois ». Et le spécialiste d’ajouter : « Grâce aux ports de Marseille et du Havre, les régions de Paca et de la Normandie pourraient devenir les poumons économiques d’une compétitivité enfin retrouvée ». Il ne reste plus qu’à l’État à définir le cap… et à le garder.
Mis bout à bout, les besoins constatés pour les infrastructures de transport posent clairement la question de leur financement. Il serait étonnant que la voie des partenariats public-privé, quelle qu’en soit la forme, ne fasse pas partie des réflexions.
Retrouvez l’ensemble de nos articles Inside ici