France post-élections : immobilisme ou instabilité

8 juillet 2024

<strong>France post-élections : immobilisme ou instabilité</strong>

Par Bruno Cavalier, Chef Economiste, ODDO BHF


Emmanuel Macron a commencé sa carrière comme conseiller économique (2012) d’un président socialiste qui disait “Je n’aime pas les riches”  et “Mon ennemi, c’est la finance”. Il s’est ensuite affranchi de ce président, prônant dans un livre intitulé Révolution (2016) une politique de l’offre et un allègement de la pression fiscale. Après sept années comme président (2024), il a accompli sa “révolution”, au sens astronomique du terme, puisque les élections anticipées qu’il a provoquées aboutissent à redynamiser une gauche dont le socle programmatique est avant tout d’augmenter les impôts pour pouvoir dépenser plus. Comment gouverner avec une Assemblée si divisée, et sur quel programme ?

Une Assemblée divisée, avec un centre de gravité à gauche

  • La dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron le 9 juin n’a pas eu les effets qu’escomptait le président. Loin de renforcer ses soutiens, elle aboutit finalement à une Assemblée divisée où aucun des trois grands blocs ne domine vraiment.
  • En juin2022, Emmanuel Macron avait de loin le plus large groupe de l’Assemblée, 250 députés en comptant ses alliés. La neutralité des 61 députés de centre-droit mettait le gouvernement à l’abri de toute motion de censure puisque les autres partis siégeant dans l’opposition ne pouvaient atteindre la majorité absolue à 289 voix. En somme, il n’y avait pas obstacle infranchissable pour gouverner (graphe de gauche).
  • En juillet 2024, Emmanuel Macron et ses alliés perdent une centaine de députés. Les désistements mutuels entre le bloc de gauche et le bloc macroniste après le premier tour ont été très efficaces pour brider l’ascension du Rassemblement national (RN), qui est tout de même le parti qui gagne le plus de sièges en deux ans. Les partis de gauche qui avaient surmonté leurs divisions pour former une alliance, dite Nouveau Front Populaire (NFP), constituent le principal bloc de l’Assemblée (graphe de droite). Ce bloc reste dominé par la frange la plus radicale qu’est la France insoumise (avec 78 députés, +3 vs 2022), devant les socialistes (68 députés, +35), les écologistes (28 députés, +5) et quelques communistes.

Après les élections, le centre de gravité de l’Assemblée nationale s’est déplacé vers une gauche favorable à des hausses d’impôt et indifférente aux problème de compétitivité des entreprises, à l’exact opposé de tout ce qu’a voulu faire Macron depuis sept ans. C’est l’occasion de rappeler que les dernières expériences d’un gouvernement de gauche en France ont eu des répercussions négatives pour l’économie.

  • En 1981, la gauche socialo-communiste mène une politique de relance keynésienne à rebours de ce que font les pays voisins de la France, ce qui creuse les déficits extérieurs et oblige à de nombreuses dévaluations du franc. Deux ans plus tard, devant le constat d’échec, c’est le tournant vers une politique de rigueur visant à rétablir les grands équilibres extérieurs et budgétaires. La différence par rapport à aujourd’hui est que la dette publique était de 23% du PIB en 1981. Au T1 2024, c’est 111%.
  • En 1997, après une dissolution intempestive, la gauche dite plurielle prend les rênes du gouvernement dans un gouvernement de cohabitation. La conjoncture économique est alors très porteuse, ce qui facilite l’amélioration des comptes publics. Le grand projet est la réduction de la durée légale du travail, avec la mise en place de la semaine de 35 heures au lieu de 39 heures. L’élévation du coût du travail qui en résulte est un choc de compétitivité dont l’économie française ne s’est toujours pas remise.
  • En 2012, l’élection du président Hollande amène un fort durcissement de la pression fiscale pour réduire les déficits publics qui s’étaient creusés après la crise financière. Le taux de prélèvements obligatoires augmente de 3.5 points en deux ans jusqu’à 45%. Deux ans plus tard, force est de constater l’activité et l’emploi s’en trouvent bridés. Un jeune conseiller du président, alors inconnu de l’opinion publique, devient le ministre de l’Economie et se met à promouvoir une politique de l’offre.

Comment peut-on gouverner avec une Assemblée nationale aussi fragmentée ? Au plan arithmétique cela paraît très difficile, pour ne pas dire impossible. Toute tentative de former une coalition politique paraît vouée à plus ou moins brève échéance à l’échec par manque de majorité. La France risque d’être ingouvernable, ou, ce qui n’est pas mieux, condamnée à l’immobilisme, en attendant une éventuelle dissolution dans un an1

  • Si le NFP reste uni – ce qui nous paraît assez improbable– son programme économique est tellement radical qu’il exclura le moindre soutien pouvant venir du bloc centriste. Pas de majorité absolue de 289 députés.
  • Si le NFP se divise, alors on pourrait imaginer un regroupement hétéroclite incluant des communistes, des écologistes, des socialistes et des macroniens penchant plutôt à gauche. Même en additionnant l’ensemble du bloc central, on arrive à 273. Là encore, pas de majorité absolue.
  • Si Macron essaie une alliance plus centrale en incluant le centre-droit et des députés conservateurs (LR), alors cela nécessiterait de rogner largement sur le programme du NFP au risque de provoquer des départs sur le flanc gauche. Dans ce cas, toujours pas de majorité absolue.
  • Dans l’hypothèse hautement improbable où les conservateurs se rapprocheraient du Rassemblement national, on serait là encore loin de la majorité absolue.
  • A noter aussi que s’il n’y a pas de majorité pour soutenir un gouvernement, il n’y en a pas forcément non plus pour voter une motion de censure. LFI et le RN sont deux partis que tout oppose sauf peut-être le désir de mettre la pression sur le président Macron afin de le forcer à démissionner et provoquer des élections présidentielles anticipées. L’addition de leurs voix ne fait que 223, là encore loin de la majorité absolue.

Que va-t-il se passer demain, et dans les prochains jours ? Concernant les choix politiques (désignation d’un Premier ministre, formation d’un nouveau gouvernement), il n’existe aucune obligation d’agir selon un calendrier prédéfini. Plus ces choix prendront du temps, plus cela risque de perturber le processus budgétaire qui requiert qu’une loi de finances soit promulguée d’ici le 31 décembre.

  • date inconnue: discours de politique générale du Premier ministre devant l’Assemblée, soit lors de la courte session ouverte le 18 juillet, soit lors d’une session extraordinaire convoquée par le Premier ministre avec l’accord du président (articles 29 et 30 de la Constitution), soit lors de la session ordinaire débutant le premier jour d’octobre. Le premier ministre peut engager la responsabilité de son gouvernement (article 49.1) mais ce n’est pas une obligation. Sur proposition d’au moins un dixième des députés, une motion de censure peut être déposée (article 49.2) et doit, pour réussir, recueillir une majorité absolue de 289 députés.
  • juillet (date inconnue): rapport trimestriel de l’INSEE sur les prévisions économiques. Cette parution prévue en juin a été suspendue en raison de la dissolution.
  • juillet (date inconnue): rapport de la Cour des Comptes sur la situation des finances publiques. Cette parution initialement attendue fin juin a aussi été suspendue à cause de la dissolution. Cela sera en quelque sorte un « audit » pour le futur gouvernement.
  • 14 juillet: Fête nationale. Possible intervention TV du président de la République.
  • 18 juillet: session de la nouvelle Assemblée nationale jusqu’au 1er août. Élection de son président, des vice-présidents et des présidents de commissions. Le règlement de l’Assemblée stipule qu’en l’absence de majorité absolue lors des deux premiers tours de scrutin, ces postes sont attribués à la majorité simple au 3ème tour, ce qui donne un avantage au groupe le plus large de députés.
  • 26 juillet: ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024 jusqu’au 11 août, suivis des Jeux Paralympiques du 28 août au 8 septembre
  • mi-septembre (tbc): présentation du projet de loi de finances (PLF) en Conseil des ministres. Auparavant, le gouvernement est tenu de le soumettre au Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) qui publie son avis sur les hypothèses macro-économiques, et au Conseil d’Etat qui rend un avis non-public au gouvernement.
  • 1er octobre (au plus tard): dépôt du PLF à l’Assemblée. Début de l’examen du projet de budget. Après un vote en première lecture, le PLF est soumis au Sénat. En cas de modification par le Sénat, une commission mixte doit rédiger une version commune. Si ce n’est pas possible, le PLF est réexaminé par l’Assemblée qui a le dernier mot. Toute cette procédure doit être faite dans un délai de 70 jours (article 47).
  • 9 décembre: vote définitif du PLF. Possibilité de saisine du Conseil Constitutionnel qui rend alors un avis public.
  • 31 décembre: promulgation de la loi de finances pour 2025

Ce déroulement ordinaire du processus budgétaire risque de connaître des ratés. A ce stade de l’année, chaque ministère est censé avoir reçu la « lettre-plafond » qui définit le montant maximal des crédits et d’emplois qui lui est alloué. Le cadrage économique du budget devrait aussi être arrêté. Or, même si l’administration n’est pas restée passive en un mois, un nouveau gouvernement pourrait revoir les travaux préparatoires. Les délais pour la rédaction, la présentation et la discussion du budget sont serrés. Rien ne peut garantir que le budget sera examiné selon le calendrier usuel, ni d’ailleurs qu’il sera voté. Une des rares fois où le délai a été dépassé, en 1962, c’était à l’occasion d’une dissolution. La Constitution prévoit que le gouvernement puisse recourir à des ordonnances si le budget n’a pas été voté à l’heure ou à des décrets si le dépôt du budget a été trop tardif. Mais la Constitution est muette sur le cas où le budget est rejeté par l’Assemblée. Certains experts2 évoquent la possibilité d’une procédure d’urgence autorisant le gouvernement à étendre par douzième les crédits votés l’année précédente mais la base juridique est mal établie.

Au total, la dissolution a introduit un risque politique que le résultat des élections oblige à considérer comme durable jusqu’aux prochaines élections (qu’elles interviennent aux dates normales ou anticipées). La prime de risque française n’a pas de raison de rebaisser au niveau d’il y a un mois quand ce risque n’existait pas. Elle aurait plutôt des raisons d’augmenter si le processus budgétaire prend du retard ou si l’orientation choisie éloigne la France d’une trajectoire crédible d’assainissement des comptes publics.

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