Photo Maria Stãheli © Fisch Asset Management
Par Maria Stäheli, Gérante Senior chez Fisch Asset Management, Zurich
«La correction qui s’opère actuellement sur les marchés financiers est inhabituelle : elle est sévère pour la plupart des catégories d’actifs, mais concernant les emprunts d’État de premier rang, de même que les obligations de société de qualité «investment grade», c’est au pire des scénarios qu’il leur ait été donné de connaître jusqu’à présent qu’ils ont dû faire face cette année. Dans le même temps, les actions et les emprunts à haut rendement ont certes enregistré des pertes similaires en valeur absolue, mais qui demeurent encore loin des pertes maximales qu’ils ont pu subir (lors de la crise financière, par exemple). À l’origine de cette évolution, il y a l’inflation élevée et la lutte déterminée que les banques centrales ont décidé de mener face à la spirale des prix, avec des hausses des taux d’intérêt marquées et à un rythme soutenu. Ce sont les placements à faible risque, très dépendants de l’évolution des taux, qui en ont souffert le plus. Entretemps, les taux d’intérêts réels, dont l’augmentation a débuté dès le quatrième trimestre de 2021, produisent les effets souhaités. Les anticipations en matière d’inflation durable qui reposent sur les obligations indexées sur l’inflation, notamment aux États-Unis, sont orientées à la baisse. Les tensions sont également moindres sur les chaînes d’approvisionnement et les sondages montrent qu’à présent, les consommateurs revoient également à la baisse leur anticipation en fait d’inflation, aux États-Unis par exemple.
Grâce à son action déterminée, la Fed a déjà pu engranger de premiers succès et rétablir pour l’heure sa crédibilité qui avait été mise à mal. Le prix à payer est cependant élevé, avec conséquence l’entrée en récession de l’économie américaine. Elle devrait toutefois être moins marquée qu’en Europe, où l’économie souffre davantage des prix élevés de l’énergie et où la capacité d’amortissement de la consommation sur le marché intérieur est moindre. Dans ce contexte, les valorisations actuelles des actions demeurent trop élevées, car les résultats des entreprises vont probablement être particulièrement mis à mal dans les mois à venir. C’est pourquoi nous estimons que les marchés actions sont porteurs d’un potentiel de pertes supplémentaires significatif, sous l’influence de facteurs négatifs qui pourraient se combiner entre eux. En premier lieu, il est possible que les prévisions de résultats, encore relativement robustes pour l’heure, subissent de nouvelles corrections à la baisse, ou que les marchés soient surpris par des résultats décevants. Deuxièmement, le pessimisme des marchés et l’augmentation des primes de risques pourraient entraîner dans le même temps une diminution des multiples de valorisation qui en dépendent. À l’inverse, il est permis de supposer que le pire est déjà passé pour les emprunts de premier rang, dont la prime de risque est moins sensible aux résultats des sociétés.
Il est intéressant de noter à cet égard que la compensation du risque est à l’heure actuelle bien meilleure pour les obligations de sociétés Investment Grade (IG) à vocation défensive que pour les actions ; ce qu’atteste, par exemple, la comparaison des rendements : en s’établissant actuellement à 5,5 pour cent, le rendement des titres US IG Corporates fait jeu égal avec le rendement des actions du S&P 500. Ce dernier rapporte les dividendes, de même que les bénéfices non distribués, au cours de l’action. Une telle situation, dans laquelle des catégories d’actifs très différents proposent les mêmes rendements, s’est produite pour la dernière fois au plus fort de la crise financière, lorsque les résultats des entreprises se sont effondrés sous l’effet de la récession. Il s’agit là, de notre point de vue, d’une opportunité assez inattendue, mais particulièrement intéressante d’opter pour une stratégie d’investissement plus défensive avant l’entrée en récession, et ce, sans trop devoir sacrifier le rendement. À l’heure actuelle, les créances IG ressortent également gagnantes de la comparaison avec le High Yield. En effet, le niveau élevé de nouvelles émissions depuis le printemps s’est traduit par un élargissement des spreads pour l’IG bien plus marqué que celui découlant habituellement de la corrélation avec le marché du High Yield.
Les titres de sociétés américaines IG disposent de fondamentaux très robustes ; ils sont bien armés pour résister aux vents contraires qui s’annoncent sur le plan macroéconomique. Les progressions très significatives des chiffres d’affaires, des résultats et des marges réalisées ces dernières années permettront d’amortir l’augmentation des prix des matières premières et des coûts salariaux. De plus, leur taux d’endettement et les liquidités disponibles sont globalement stables. Cela se reflète dans le momentum positif des ratings, où chaque déclassement correspond tout de même à 2,5 reclassements. De notre point de vue, ces titres devraient faire face bien mieux que d’autres à un scénario de récession en raison de la qualité élevée des emprunteurs et de la moindre sensibilité des primes de crédit qui s’ensuit. Nous estimons en revanche que les émetteurs IG européens présentent davantage de risques fondamentaux. En effet, les taux d’endettement sont repartis à la hausse, tandis que les marges chutent, surtout si l’on fait abstraction du secteur particulièrement fort que représente l’énergie. Cette différence explique toutefois le fait que les emprunts américains soient plus chers. Nous considérons en revanche que les spreads et les rendements qu’offre le marché des titres corporate IG en EUR sont intéressants, surtout si l’on tient compte du coût élevé d’une couverture du risque de change qu’implique l’alternative en USD à l’heure actuelle. C’est pourquoi notre choix se porte présentement sur les emprunts en EUR d’émetteurs américains (dits «Reverse Yankees»), car ils permettent de gagner sur les deux plans : la solidité au niveau des fondamentaux jointe à des primes de risques attractives.
Sur le plan sectoriel, notre préférence va actuellement aux valeurs financières, dont l’évolution est restée nettement en retrait des valeurs non-financières depuis le début de l’année. Avec près de 40 points de base, la surprime par rapport aux valeurs industrielles atteint un niveau inhabituel. De plus, elles bénéficient d’un socle de fondamentaux robustes, car la rentabilité croît avec les taux d’intérêt, dès lors que les courbes de taux sont pentues. En outre, tant la qualité de crédit que la base en termes de capital sur lesquelles elles peuvent s’appuyer sont plus solides qu’avant la pandémie et les stress tests des années passées montrent que les banques européennes notamment sont devenues plus résilientes. À cela vient s’ajouter le fait que le secteur bancaire bénéficie par nature d’une duration plus courte dans l’univers des placements IG, ce qui vient réduire la sensibilité au taux. Nous estimons par conséquent qu’une surpondération fait actuellement sens.
Finalement, après la correction marquée qui est intervenue cette année, on trouve parmi les obligations de sociétés de première qualité toute une série d’opportunités attractives. Et, lorsque se produira le tournant tant attendu dans la politique menée par les banques centrales, nous espérons qu’avec leur duration longue, les emprunts IG profiteront davantage de ce que la moyenne de la baisse des taux.»
Retrouvez l’ensemble de nos articles Business