Faut-il encore croire au Prix Nobel de la paix ?

19 octobre 2025

Faut-il encore croire au Prix Nobel de la paix ?

Né du remords d’un inventeur et de l’espoir d’un monde meilleur, le Prix Nobel de la paix fascine autant qu’il divise. En récompensant tour à tour des figures unanimement saluées et d’autres plus controversées, ce symbole universel interroge aujourd’hui sa propre légitimité.

Chaque automne, le monde attend avec curiosité l’annonce du Prix Nobel de la paix. Cette distinction, censée récompenser celles et ceux qui œuvrent pour la fraternité entre les peuples, continue de fasciner, mais aussi d’interroger. Derrière le prestige, une question s’impose de plus en plus : que reste-t-il vraiment de l’esprit d’Alfred Nobel ?

De l’idéal originel à l’ambiguïté moderne

Alfred Nobel, inventeur de la dynamite et industriel prospère, fut aussi un humaniste lucide. En rédigeant son testament en 1895, il choisit d’allouer la majorité de sa fortune à la création de prix destinés à récompenser les contributions les plus marquantes au progrès de l’humanité. Parmi eux, celui de la paix devait honorer « la personne ayant le plus ou le mieux contribué à la fraternité entre les nations, à l’abolition ou la réduction des armées permanentes et à la tenue de congrès de paix ». Le premier prix, en 1901, fut attribué à Jean Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge, et à Frédéric Passy, figure du pacifisme français. C’était alors un symbole fort : celui d’un monde croyant encore que la diplomatie et la morale pouvaient prévenir les guerres. Mais au fil du XXe siècle, cette définition s’est progressivement élargie. Le Comité Nobel a commencé à récompenser des figures du combat pour les droits civiques, la démocratie, la justice sociale ou la liberté d’expression. Martin Luther King Jr., Nelson Mandela, le Dalaï-Lama, Malala Yousafzai ou encore Mère Teresa ont incarné cette paix active, fondée sur la dignité humaine. Ainsi, le prix s’est transformé en tribune morale mondiale. Il ne célèbre plus uniquement la diplomatie classique, mais toute initiative contribuant à un monde plus juste. Cependant, cette ouverture a aussi rendu le Nobel de la paix vulnérable aux lectures politiques et idéologiques.

Quand la neutralité devient impossible

Certains lauréats ont soulevé plus de débats que d’adhésion. L’attribution du prix à Barack Obama, en 2009, en est un exemple emblématique : honoré quelques mois à peine après son arrivée à la Maison-Blanche, il fut récompensé non pour ses réalisations, mais pour « l’espérance qu’il incarnait ». Une reconnaissance d’intention, plus que d’action. De même, la remise du prix 2025 à María Corina Machado, figure de l’opposition vénézuélienne, suscite un vif questionnement. Le Comité norvégien a salué « son engagement en faveur de la démocratie et des droits du peuple vénézuélien », face à la répression du régime de Nicolás Maduro. Mais Machado est aussi une personnalité issue de la droite dure, prônant un libéralisme radical et des positions sociales très marquées. Récompenser une figure politique aussi polarisante revient à transformer un symbole de paix en instrument diplomatique. Le prix devient alors un message politique adressé à un régime, plutôt qu’une reconnaissance universelle. Car attribuer le Nobel de la paix est devenu un exercice d’équilibriste : chaque décision envoie un signal, voulu ou non. Honorer une dissidente, c’est condamner implicitement un gouvernement. Omettre un militant, c’est risquer d’alimenter le soupçon d’alignement géopolitique. Dans ce contexte, le prix semble s’éloigner de son objectif initial : encourager la fraternité entre les nations. Certains candidats évoqués ces dernières années, comme Donald Trump, pour avoir facilité les « accords d’Abraham » entre Israël et plusieurs pays arabes, illustrent la confusion actuelle. Peut-on attribuer la plus haute distinction pour la paix à une personnalité dont le discours a souvent divisé et attisé les tensions ?

Le Nobel de la paix conserve un immense pouvoir symbolique. Il confère visibilité, légitimité et protection à ceux qui luttent dans l’ombre. Mais à force de vouloir tout représenter, la paix, la démocratie, les droits humains, la lutte contre le changement climatique, il risque de se diluer dans un humanisme abstrait. Ce prix, jadis repère moral universel, semble aujourd’hui osciller entre idéal éthique et instrument diplomatique. Le monde a changé, et peut-être est-il temps que le Nobel de la paix redéfinisse ses critères avec transparence et cohérence.

La paix, au fond, n’est pas une opinion. Elle ne devrait appartenir ni à une idéologie, ni à un camp. Elle se construit patiemment, dans le dialogue, le respect et la justice. Alors oui, on peut légitimement se demander : lorsque des figures ouvertement polarisantes comme María Corina Machado ou Donald Trump se retrouvent associées à la plus haute distinction pour la paix, ce prix conserve-t-il encore son sens premier ? Ou n’est-il plus que le reflet d’un monde où même la paix devient un outil d’influence ?

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