Par Kevin Thozet, membre du Comité d’Investissement de Carmignac
L’édition 2021 du symposium de Jackson Hole avait vu les grands banquiers centraux, et notamment Jerome Powell, souligner le caractère transitoire de l’inflation et ainsi maintenir une orientation de politique monétaire accommodante. Ils ont depuis largement abandonné cette « forward guidance », relevé les taux d’intérêt vers des niveaux qui se rapprochent de la neutralité et sont devenus beaucoup plus dépendants des données économiques face à la persistance de la hausse des prix.
L’abandon de la « forward guidance » implique qu’afin d’anticiper les évolutions à venir des politiques monétaires il convient désormais de porter davantage attention aux statistiques économiques qu’à la communication ou la stratégie des grands argentiers. Et les dernières publications ont été de bonne facture (plus de 500 000 créations d’emplois en juillet, des ventes au détail supérieures aux attentes pour ce même mois, confirmant la robustesse de l’économie américaine).
Dans le même temps, l’inflation – tant réalisée qu’attendue pour les mois à venir – demeure trop élevée et bien supérieure à l’objectif de la Réserve Fédérale (Fed). Cependant, le marché a inféré – de la dernière réunion du FOMC du 27 juillet – un ralentissement du rythme des hausses de taux d’intérêt à partir de septembre, catalysant la hausse des marchés d’actions et l’assouplissement des conditions financières. Les marchés obligataires s’attendent eux à un revirement de la politique monétaire américaine dès le premier trimestre 2023.
M. Powell souhaite probablement envoyer le signal que la Fed n’en a pas fini avec son cycle de resserrement monétaire, mais le marché tend à extrapoler du possible ralentissement du rythme des hausses de taux les prémices d’un abandon du durcissement monétaire. Nous nous attendons à ce que la Fed aille dans le sens d’un cycle de remontée de taux « plus lent mais plus long ». Cependant, le risque que les marchés assouplissent davantage les conditions financières s’ils se concentrent sur la première partie de ce message est bien présent – il leur sera d’autant plus difficile de digérer la seconde partie du message quand elle sera à l’œuvre.
La conférence pourrait également apporter plus de précisions sur le cadre dans lequel opère la Réserve Fédérale – après tout, le symposium est destiné aux économistes, universitaires et autres acteurs de marchés et vise avant tout à aborder des questions économiques de à long terme.
L’environnement économique actuel pourrait ainsi inciter à la revue de l’interprétation du «taux neutre». Le niveau de taux d’intérêt qui est considéré comme étant ni restrictif, ni accommodant pourrait être nuancé afin de refléter les évolutions du contexte d’inflation ou de conditions financières. En effet, le niveau théorique de taux dit neutre aux alentours de 2,5% suppose un niveau d’inflation de long terme de 2% ; avec une inflation américaine proche des 8%, le niveau de neutralité des taux d’intérêt est possiblement supérieur à 2,5%. Ainsi, Jackson Hole pourrait fournir à J. Powell l’occasion de faire valoir la complaisance des marchés qui placent le niveau de taux terminal en deca de 4% et qui s’attendent à une volte-face prochaine de la politique monétaire américaine. Et aussi qu’un cycle de resserrement monétaire possiblement plus lent (mais plus long) ne constitue pas pour autant le signe de conditions financières plus favorables.
La conférence de Jackson Hole pourrait également nous fournir des éléments supplémentaires sur la politique monétaire de la zone euro. En effet, la prochaine réunion de la Banque Centrale Européenne (BCE) se tiendra le 8 septembre prochain. Et, tenant compte de la « période de réserve » de sept jours qui la précède, le symposium pourrait être la plateforme qui verrait la BCE préparer davantage les marchés à sa deuxième hausse de taux d’intérêt consécutive en 10 ans (une hausse de 50 points de base est attendue pour la réunion de septembre).
• Les taux court américains devraient remonter, les opérateurs de marché ont eu tendance à estimer que le risque de récession se rapproche. Pour notre part, nous ne nous attendons pas à ce que la récession frappe les États-Unis avant la deuxième partie de 2023 ; et indépendamment de cette conviction, la récession américaine devrait en tout état de cause être alimentée par des taux d’intérêt plus élevés. De plus l’importance donnée par la Fed à des indicateurs retardés (notamment l’inflation et le marché du travail) induit que quand elle finira par changer de braquet, elle le fera avec un certain retard – ce qui implique un aplatissement de la courbe des taux américains.
• Nous nous attendons également à ce que la BCE adopte un ton relativement restrictif, l’inflation ne devant pas culminer dans la zone euro avant cet automne et la balance des risques tend à pencher vers des prix orientés à la hausse (le scénario du pire de la BCE qui verrait une coupure du gaz russe intègre des hausses de taux à venir – d’autant plus qu’un événement aussi dramatique viendrait avec davantage de soutien budgétaire).
Retrouvez l’ensemble de nos articles Business