Les deux « blocs Jenga » économiques sur lesquels les investisseurs ont exercé une pression cette semaine étaient l’inflation et les valorisations. Les actions surperforment rarement lorsque les banques centrales adoptent un ton plus hawkish ou lorsque les conditions financières se resserrent. Aux États-Unis, cette situation est aggravée par un manque de transparence dû à l’absence de données gouvernementales suite au shutdown, alimentant les craintes que la Réserve fédérale (Fed) ne privilégie à nouveau sa crédibilité dans la lutte contre l’inflation au détriment de la croissance, l’expérience de 2022 restant encore vive dans l’esprit des investisseurs.
Les préoccupations liées aux valorisations se concentrent sur la forte dépendance du marché à un petit groupe de valeurs technologiques méga-capitalisées. Dans le S&P 500 par exemple, les huit plus grandes entreprises — toutes étroitement liées à l’IA — représentent désormais environ 35,5 % de l’indice, tandis que seulement deux secteurs, la technologie de l’information et les services de communication, totalisent environ 46,6 %. [1] Cela suggère que l’indice est largement porté par un seul thème macroéconomique : l’IA. Cette concentration intervient à un moment où les investisseurs sont de plus en plus inquiets face aux valorisations élevées, à la nature circulaire du financement des transactions liées à l’IA et aux montants colossaux de capitaux déployés dans des infrastructures dont les rendements visibles restent (pour l’instant) limités.
En Asie, la désinflation semble être la principale préoccupation – sauf au Japon, où la pression continue de s’exercer sur la Banque du Japon (BoJ) pour qu’elle resserre sa politique monétaire. Les prix à la consommation de base (hors produits frais) ont augmenté de 3 %, contre 2,9 % le mois précédent. L’inflation est désormais égale ou supérieure à l’objectif de 2 % de la BoJ depuis 43 mois consécutifs, la plus longue période depuis 1992. [2] Dans le même temps, le gouvernement japonais a approuvé un plan de relance de 21,3 trillions de yens destiné à atténuer le mécontentement public face à la hausse du coût de la vie. [3]
En Europe, le Royaume-Uni a été confronté à une inflation persistante. La baisse des prix observée en octobre – la première en six mois – est donc une bonne nouvelle, confirmant la vision de la Banque d’Angleterre (BoE) selon laquelle les pressions inflationnistes ont peut-être enfin atteint un pic. L’IPC (indice des prix à la consommation) global a augmenté de 3,6 % en glissement annuel, contre 3,8 % en septembre, conformément aux prévisions de la BoE. Ce ralentissement s’explique en grande partie par les prix de l’énergie, qui ont progressé moins fortement que l’an dernier. Il est également encourageant de constater une légère baisse de l’inflation des services à 4,5 %. [4]
Les prix réglementés, les hausses d’impôts, les coûts de l’énergie et les dépenses alimentaires toujours élevées ont été les principaux moteurs de l’inflation persistante au Royaume-Uni. La BoE devrait donc attendre le budget d’automne du gouvernement travailliste, le 26 novembre, pour évaluer si la politique budgétaire complique davantage les perspectives. À moins d’une surprise budgétaire majeure, la principale préoccupation persistante de la BoE sera les prix des denrées alimentaires, dont l’inflation est passée de 4,5 % en septembre à 4,9 % en octobre. 4Malgré cela, des données plus faibles sur le marché du travail et une croissance anémique devraient suffire à incliner la balance vers un « cadeau de Noël » en décembre sous la forme d’une baisse de taux de 25 points de base. Les marchés monétaires intègrent actuellement environ 85 % de probabilité pour une telle mesure. [5]
Pour la zone euro, les inquiétudes liées à la désinflation – et au risque de glisser vers la déflation – continuent de croître. La lecture finale de l’IPCH (Harmonised Indices of Consumer Prices) pour octobre a confirmé l’estimation préliminaire de 2,1 %, légèrement en baisse par rapport aux 2,2 % de septembre. [6] Les forces désinflationnistes devraient se renforcer dans les mois à venir, augmentant les risques baissiers pour les perspectives d’inflation, ce qui pourrait rouvrir la voie à un assouplissement de la politique monétaire dès 2026 – un scénario non intégré dans les prix actuels – à mesure que l’impact total des droits de douane se transmettra dans l’économie.
Pendant ce temps, aux États-Unis, l’accessibilité financière (affordability) s’est soudainement imposée au centre des préoccupations des responsables politiques. Nous sommes à un peu plus de 300 jours du début du second mandat de Donald Trump, une période qui ne peut être qualifiée que de « fast and furious » en termes de politique, compte tenu du nombre inhabituellement élevé de décrets présidentiels. Pourtant, les sondages suggèrent que ces efforts n’ont pas été bien reçus. La cote de popularité du président Trump a chuté de 16 % depuis son entrée en fonction, seulement 40 % environ des électeurs approuvant aujourd’hui son action. [7] Bien qu’il soit courant qu’un président perde en soutien après la période de lune de miel, aucun président récent n’a vu sa popularité baisser aussi rapidement. Les sondages indiquent que chaque État, sauf l’Idaho, s’est tourné contre M. Trump. Combiné aux récents succès démocrates dans la course à la mairie de New York et dans les élections des États de Virginie et du New Hampshire, cela pourrait pousser l’administration à repenser — ou au moins ajuster — sa stratégie politique, en particulier à moins d’un an des élections de mi-mandat.
Le mécontentement semble se concentrer autour d’un thème central : l’inquiétude liée au coût de la vie dominé par les dépenses de santé, d’alimentation et de logement. Dans un récent sondage Reuters/Ipsos, environ 40% des répondants ont déclaré que les positions des candidats sur le coût de la vie seraient le facteur le plus important dans leur vote l’an prochain.[8]
La flexibilité, le pragmatisme et le dynamisme incontestable sont sans aucun doute les points forts de l’administration, qui a réagi en conséquence. Le président Trump a supprimé les droits de douane sur plus de 200 produits alimentaires, notamment le café, le bœuf, les bananes et le jus d’orange. [9] L’administration envisage également un plan permettant au gouvernement de garantir des prêts hypothécaires sur 50 ans pour faire face à la crise de l’accessibilité au logement. [10]
Le président Trump a en outre déclaré aux journalistes qu’il avait l’intention de verser 2 000 USD aux Américains à faibles et moyens revenus, financés par les recettes des droits de douane. Toutefois, ce plan semble irréaliste, car les chiffres ne concordent pas : les droits de douane devraient générer environ 200 à 300 milliards de dollars par an, alors qu’un dividende de 2 000 USD versé à tous les Américains, y compris les enfants, coûterait environ 600 milliards de dollars. [11] Ce sera une bonne nouvelle pour le Comité fédéral de l’open market (FOMC), et en particulier pour son président, Jerome Powell, qui subit une pression constante de la part de l’administration pour assouplir la politique monétaire à un rythme accéléré, même si le comité n’a pas atteint son objectif en matière d’inflation.
L’indice PCE de base est au-dessus de 2 % depuis mars 2021, et les projections actuelles ne prévoient pas un retour à la cible — même d’ici la fin de 2027 — l’indice PCE de base étant prévu à 2,1 %. [12]
Selon les minutes de la réunion du FOMC d’octobre, publié la semaine dernière, les responsables ont jugé qu’il serait probablement approprié de maintenir les taux d’intérêt inchangés jusqu’à la fin de 2025, ce qui implique une forte préférence pour le maintien des taux en décembre. [13] Cette position prudente, désormais soutenue par l’administration, est motivée par la persistance de l’inflation, la souplesse des conditions financières et le manque de données actualisées en raison de la fermeture des services publics.
Ailleurs dans ces minutes, une discussion intéressante a porté sur les risques actuels pour la stabilité financière, certains responsables évoquant des « valorisations d’actifs tendues sur les marchés financiers ». Plusieurs responsables ont souligné « la possibilité d’une chute désordonnée des prix des actions, notamment en cas de réévaluation brutale des perspectives de la technologie liée à l’IA13 ».
Le moment était donc idéal pour Nvidia, le fabricant de puces le plus valorisé au monde et indicateur clé du secteur de l’IA, pour publier des résultats exceptionnels au troisième trimestre, dépassant les attentes des analystes. Le chiffre d’affaires a augmenté de 62 % pour atteindre 57 milliards d’USD pour la période se terminant le 26 octobre, tandis que le bénéfice s’est élevé à 1,30 USD par action, dépassant les prévisions de 55,2 milliards USD de chiffre d’affaires et de 1,26 USD par action de bénéfice. L’unité data center de Nvidia a été le principal moteur de cette croissance, générant 51,2 milliards USD de chiffre d’affaires contre 49,3 milliards prévus, ce qui reflète la forte demande continue en infrastructures d’IA. [14]
Dans l’ensemble, la semaine a été difficile pour les performances. Le dollar américain s’est apprécié face à la plupart des grandes devises, resserrant les conditions financières ; les obligations ont été la classe d’actifs la plus résiliente. Les courbes de taux d’Etat se sont pentifiées, l’extrémité courte surperformant grâce à la baisse des rendements. Sur les marchés du crédit, les spreads se sont légèrement élargis, mais les rendements totaux ont été amortis par la baisse des rendements obligataires et les revenus des coupons, le crédit investment grade affichant une modeste surperformance.
Les autres actifs ont moins bien résisté. Les prix des matières premières ont été faibles, les prix de l’énergie ayant chuté alors que les États-Unis poussent la Russie et l’Ukraine vers une fin du conflit ; le président ukrainien Volodymyr Zelenskiy a annoncé avoir accepté de travailler sur un plan de paix rédigé par les États-Unis, et la Russie devrait s’entretenir avec Donald Trump dans les prochains jours. [15]
Les prix des métaux ont été tirés vers le bas par la détérioration du sentiment de risque global, les métaux industriels sous-performant les métaux précieux. Dans le même temps, les cryptomonnaies connaissent leur pire mois depuis juin 2022, lorsque l’effondrement du stablecoin TerraUSD de Do Kwon avait déclenché une série de faillites ayant finalement contribué à la chute de la bourse FTX de Sam Bankman-Fried. Le bitcoin est maintenant à plus de 30 % en dessous de son pic d’octobre. [16]
Au cœur de la correction actuelle des marchés financiers se trouvent les actions et l’économie américaine. Les actions mondiales ont connu leur pire semaine depuis la « Semaine de la Libération » en avril, avec une vague de ventes généralisée dans toutes les régions. L’indice Bloomberg World Large & Mid Cap a chuté de plus de 3 %, soulignant l’ampleur du mouvement d’aversion au risque.
Graphique de la semaine : Affordability – Don’t Core Me
Source: Bloomberg, as of 21st November 2025. For illustrative purposes only.
References:
[1] S&P Dow Jones Indices, Equity S&P 500, as of October 31, 2025
[2] Bloomberg, ‘Japan’s October Data Keep BoJ on Track for Gradual Rate Hikes,’ November 20, 2025
[3] Bloomberg, ‘Japan Unveils Biggest Stimulus Since Covid in Bond Market Test,’ November 21, 2025
[4] Bloomberg, ‘UK Inflation in First Drop Since March Ahead of Budget,” November 19, 2025
[5] Bloomberg, as of November 21, 2024
[6] Bloomberg, “Euro-Area React: Sticky Core Inflation Now, Disinflation Ahead,’ November 19, 2025
[7] The Economist, ‘Donald Trump’s approval rating,’ November 21, 2025
[8] Reuters, ‘Cost-of-living worries haunt Americans ahead of midterms, Reuters/Ipsos poll finds,’ October 24, 2025
[9] Bloomberg, ‘Trump Cuts Food Tariffs on Beef, Coffee as Prices Vex Voters,’ November 14, 2025
[10] CNN Business, ‘The affordability crisis is forcing Trump to radically reshape his economic plan on the fly,’ November 14, 2025
[11] Fortune, ‘Tax wonks see Trump blowing his tariff revenue bonanza on half-baked plan to give Americans a $2,000 ‘dividend’,’ November 12, 2025
[12] Federal Open Market Committee (FOMC) Projections materials, September 17, 2025
[13] Bloomberg, Fed Minutes Show ‘Many’ Officials Lean Against December Cut, November 19, 2025
[14] Bloomberg, ‘Nvidia Downplays Bubble Fears, Though Post-Earnings Rally Fades,’ November 20. 2025
[15] Bloomberg, ‘Zelenskiy Says He Agreed to Work on US Draft Plan to End War,’ November 20. 2025
[16] Bloomberg, ‘Bitcoin Heading for Worst Month Since Crypto Collapse of 2022,’ November 21, 2025
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