Inégalités, précarité, concentration des richesses : Karl Marx est-il de retour ?

19 novembre 2025

Inégalités, précarité, concentration des richesses : Karl Marx est-il de retour ?

Il y a plus d’un siècle et demi, Karl Marx posait les bases d’une lecture du monde qui allait profondément influencer la pensée politique, économique et sociale : celle de la lutte des classes. Selon lui, l’histoire de l’humanité n’était rien d’autre que l’histoire de conflits entre groupes sociaux aux intérêts économiques opposés. De la société féodale aux débuts du capitalisme industriel, Marx identifiait un fil rouge : l’exploitation d’une classe par une autre, menant mécaniquement à des tensions structurelles qui finissaient par transformer les sociétés.

Pour Marx, la lutte des classes n’était pas seulement un concept théorique : elle constituait le moteur même de l’histoire, la force dynamique qui expliquait les grandes ruptures et les évolutions des systèmes économiques. Dans sa vision, deux grandes classes dominaient le capitalisme naissant du XIXe siècle : la bourgeoisie, détentrice des moyens de production, et le prolétariat, contraint de vendre sa force de travail pour survivre. Le conflit entre ces classes devait, selon lui, s’intensifier à mesure que le capitalisme se développait, créant des conditions de vie de plus en plus difficiles pour les travailleurs. Cette contradiction interne devait inévitablement pousser le système à se transformer, menant à la révolution et à l’abolition des rapports de domination économique. L’horizon final imaginé par Marx était celui d’une société sans classes, dans laquelle les moyens de production appartiendraient à la collectivité et où l’exploitation de l’homme par l’homme aurait définitivement disparu.

L’Héritage Historique de la Lutte des Classes

Au XXe siècle, la lutte des classes a servi de fondement à de nombreux mouvements politiques et à plusieurs révolutions majeures qui ont bouleversé la carte du monde, des nations comme l’Union soviétique, la Chine maoïste, Cuba ou encore le Vietnam s’étant construites en affirmant mettre fin à l’exploitation et instaurer un pouvoir au nom du prolétariat. Ces expériences ont mobilisé des millions de personnes et redessiné les équilibres géopolitiques pendant des décennies. De même, en Occident, sans aller jusqu’à la révolution, les mouvements ouvriers, les syndicats et les partis socialistes ont profondément transformé les sociétés : des grèves massives aux négociations collectives, la pression exercée par les travailleurs organisés a permis d’arracher des droits fondamentaux tels que l’encadrement du droit du travail, l’assurance-chômage, la sécurité sociale, la limitation du temps de travail et les congés payés. Toutes ces avancées sont nées d’un rapport de force entre capital et travail, et donc d’une forme institutionnalisée de lutte des classes. Les Trente Glorieuses, cette période de prospérité partagée d’après-guerre, ont vu émerger un compromis social qui semblait valider l’idée que la reconnaissance du conflit de classes pouvait mener à son dépassement pacifique. Pourtant, le récit historique a aussi montré les limites du concept tel qu’imaginé par Marx : dans les régimes se réclamant du marxisme, la disparition effective des classes sociales ne s’est réalisée nulle part, et de nouvelles bureaucraties se sont même formées, parfois plus éloignées du peuple que les classes dirigeantes qu’elles avaient remplacées, créant ce que certains ont appelé une « nouvelle classe » au pouvoir. Quant aux démocraties occidentales, si les protections sociales ont permis de réduire certains écarts et d’améliorer notablement les conditions de vie des travailleurs, elles n’ont pas pour autant supprimé les logiques économiques reposant sur la propriété privée des moyens de production et l’extraction de la plus-value.

La Lutte des Classes à l’Époque Contemporaine

Aujourd’hui, le débat fait rage. Certains affirment que la lutte des classes appartient définitivement au passé. Les anciennes frontières sociales se seraient diluées avec la montée des classes moyennes, la démocratisation relative de la consommation et l’individualisation croissante des parcours professionnels. Dans cette vision, les technologies numériques, l’essor de l’entrepreneuriat ou la mondialisation auraient profondément modifié les structures économiques, rendant obsolète l’analyse marxiste centrée sur l’industrie et le salariat ouvrier traditionnel. L’identité de classe aurait cédé la place à d’autres formes d’identités et de revendications : genre, origine, orientation sexuelle ou préoccupations environnementales. Pourtant, d’autres voix soutiennent que la lutte des classes non seulement persiste, mais s’est même intensifiée sous des formes nouvelles. Les inégalités de richesse atteignent aujourd’hui des niveaux inédits depuis un siècle : une poignée de milliardaires détient autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité. La précarisation du travail avec l’ubérisation, les contrats à durée déterminée, et le travail à la demande, crée de nouvelles formes d’exploitation qui rappellent les conditions du XIXe siècle. Les conflits autour de la répartition des richesses produites, qu’il s’agisse des négociations salariales, des réformes des retraites ou de la fiscalité, demeurent au cœur des tensions sociales.

La vraie question n’est peut-être pas de savoir si la lutte des classes subsiste, mais plutôt de comprendre comment elle s’exprime aujourd’hui, dans un monde profondément transformé où les frontières sociales, bien que plus diffuses, continuent de structurer les rapports de pouvoir économiques qui façonnent nos sociétés.

Retrouvez l’ensemble de nos articles Inside

Recommandé pour vous

A la Une
Le bitcoin et l’or, la meilleure combinaison
Par Dovile Silenskyte, Director, Digital Assets Research, WisdomTree Pendant des…
A la Une
Oser rêver !
Dans un monde où les crises semblent s’enchaîner sans répit, où chaque act…
A la Une
ENTRE BULLES ET OPPORTUNITÉS : LES QUATRE GRANDES QUESTIONS DE LA TECH
En pleine saison des résultats du troisième trimestre, Kristofer Barrett, respon…
A la Une
Muzinich & Co.: Weekly Update – Let’s Play Jenga*
Après un mois d’octobre en une forte hausse, novembre a débuté sur une not…
A la Une
La Suisse à l’épreuve du nouvel ordre mondial
Dans un monde secoué par les guerres, les tensions géopolitiques et les boulever…
A la Une
L’Onde de choc Mamdani : quand New York défie l’ordre libéral américain
Aux États-Unis, certaines victoires électorales résonnent bien au-delà des front…