Europe : la démocratie en quête de sens

2 novembre 2025

Europe : la démocratie en quête de sens

Plus d’un an après le renouvellement du Parlement européen en juin 2024, un constat s’impose : un parfum de désenchantement continue de flotter sur le continent. Les résultats ont confirmé une participation toujours insuffisante, un recul des partis traditionnels et une poussée des mouvements populistes. La démocratie européenne, pourtant née de la promesse d’unité et de paix, traverse aujourd’hui une crise de sens profonde qui interroge jusqu’aux fondements mêmes du projet communautaire.

Depuis quinze ans, l’Union européenne a été ballottée par une succession de crises sans précédent. La crise financière de 2008 a ébranlé la zone euro et mis à nu les divergences économiques entre Nord et Sud. La crise migratoire de 2015 a révélé les fractures sur les questions d’identité et de solidarité. La pandémie de Covid-19 a testé la capacité de coordination sanitaire. Plus récemment, la crise énergétique et la guerre en Ukraine ont exposé la dépendance stratégique de l’Europe et ses divisions géopolitiques. À chaque fois, l’Europe a tenu, souvent au prix de compromis laborieux et de plans de relance massifs, mais en laissant l’image d’une machine technocratique déconnectée des réalités sociales et des aspirations citoyennes. Si Bruxelles a su incarner une réponse collective face aux défis, elle peine à convaincre qu’elle agit pour les citoyens, et non au-dessus d’eux.

Un fossé démocratique qui se creuse

L’abstention reste le premier parti d’Europe. Lors des dernières élections de 2019, plus d’un Européen sur deux ne s’est pas déplacé aux urnes, et les scrutins de 2024 ont confirmé cette tendance préoccupante. Ce désintérêt ne traduit pas nécessairement un rejet de l’idée européenne, mais plutôt un éloignement du citoyen vis-à-vis d’institutions perçues comme opaques, complexes et éloignées des préoccupations quotidiennes. Le sentiment que « Bruxelles décide sans nous » alimente une défiance croissante envers le processus démocratique européen.

La jeunesse européenne, en particulier, affiche un rapport ambivalent à la politique institutionnelle. Engagée sur les réseaux sociaux, mobilisée sur les enjeux climatiques, féministes ou sociaux, elle reste méfiante envers les urnes et les partis traditionnels. Le vote n’est plus vécu comme un acte d’appartenance à une communauté politique, mais comme une option parmi d’autres formes d’expression citoyenne, souvent jugées plus efficaces ou plus authentiques. Dans ce contexte, les partis eurosceptiques et nationalistes progressent dans presque tous les États membres. Ils capitalisent sur la peur du déclassement social, la défiance envers les élites et le sentiment d’impuissance face aux crises migratoires et économiques. Ce phénomène ne se limite pas à une vague de colère passagère : il traduit une mutation profonde du rapport au politique. Les citoyens ne rejettent pas seulement l’Europe, ils rejettent une Europe perçue comme distante, technocratique et uniforme, incapable de répondre aux identités et réalités locales, aux angoisses concrètes du quotidien.

Pour redonner souffle au projet européen, il faut sans doute réhabiliter le sens premier de la démocratie : la proximité, la participation et la responsabilité. Des initiatives locales et transnationales se multiplient pour tenter de combler ce fossé. Assemblées citoyennes tirées au sort, consultations en ligne sur les politiques européennes, conférences sur l’avenir de l’Europe impliquant des milliers de citoyens à travers le continent : ces expériences témoignent d’une volonté de renouveau démocratique. Mais elles ne suffiront pas si elles ne s’accompagnent pas d’un véritable changement de culture politique au sein des institutions européennes. L’Union européenne pourrait devenir un laboratoire de démocratie participative et délibérative, à condition d’oser repenser ses institutions et ses modes de décision, de donner un pouvoir réel aux citoyens au-delà du simple vote quinquennal.

L’Europe face à elle-même

La fracture européenne n’est pas seulement politique : elle est aussi générationnelle et sociale. Les jeunes Européens, bien qu’europhiles dans l’esprit et attachés aux valeurs de liberté de circulation et d’ouverture, ont grandi dans un monde où la construction européenne s’est transformée en gestion de crise permanente plutôt qu’en horizon de progrès partagé. Pour eux, l’Europe n’incarne plus un idéal mobilisateur comme elle pouvait l’être pour les générations précédentes, mais un cadre administratif souvent perçu comme contraignant, imposant des normes sans offrir de vision inspirante pour l’avenir.

Face à ces défis multiples, l’Europe doit retrouver le sens de son projet politique et réinventer le récit qu’elle propose à ses citoyens. Cela suppose de réconcilier efficacité et légitimité, de rapprocher les institutions des citoyens, et de renouer avec une vision d’avenir commune qui dépasse la seule logique de marché ou de gestion. Les années qui viennent jusqu’aux prochaines élections de 2029 seront décisives pour la capacité de l’Union à se réinventer, à reconquérir la confiance de ses citoyens et à démontrer que la démocratie européenne peut être à la fois ambitieuse et proche des préoccupations réelles des peuples qui la composent.

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