Souveraineté numérique : l’Europe à la croisée des chemins

21 octobre 2025

Souveraineté numérique : l’Europe à la croisée des chemins

Face à la domination technologique des États-Unis et de la Chine, l’Union européenne tente de reconquérir son autonomie numérique. Entre régulation ambitieuse, investissements stratégiques et fragmentation interne, la bataille pour la souveraineté numérique sera décisive pour l’avenir du continent.

À l’heure où les données sont devenues l’or noir du XXIe siècle, l’Union européenne peine encore à s’imposer comme une véritable puissance numérique. Entre domination américaine et ascension technologique chinoise, le Vieux Continent avance à pas mesurés, tiraillé entre ambitions politiques, contraintes réglementaires et manque d’investissements. La question n’est plus de savoir si l’Europe doit reconquérir sa souveraineté numérique, mais si elle en a encore le temps.

Une dépendance technologique inquiétante

Dans le cloud, l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux ou les semi-conducteurs, les champions européens se comptent sur les doigts d’une main. Les géants du numérique, les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), captent plus de 80 % des parts de marché du cloud en Europe. Les entreprises européennes hébergent ainsi leurs données stratégiques sur des serveurs étrangers, souvent soumis aux lois extraterritoriales américaines. Cette dépendance s’étend à d’autres domaines : les puces électroniques viennent d’Asie, les réseaux sociaux façonnent l’opinion publique depuis la Californie, et les logiciels professionnels les plus utilisés (comme Microsoft 365) échappent à tout contrôle européen. Face à ce constat, le mot d’ordre à Bruxelles est désormais clair : retrouver une autonomie stratégique dans le numérique, au même titre que dans l’énergie ou la défense.

L’Union européenne ne manque pas d’ambitions. Sous l’impulsion de la Commission et du commissaire Thierry Breton, plusieurs chantiers structurants ont vu le jour. Le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) visent à réguler les grandes plateformes et à limiter leur pouvoir de marché. L’Europe tente ainsi d’imposer ses valeurs — transparence, protection des données et concurrence loyale — dans un monde numérique souvent dérégulé. Sur le plan industriel, des projets communs comme Gaia-X, lancé par la France et l’Allemagne, cherchent à créer une infrastructure de cloud européenne, respectueuse de la confidentialité et de la souveraineté des données. De même, le Chips Act européen, doté de 43 milliards d’euros, ambitionne de relocaliser une partie de la production de semi-conducteurs sur le continent.

Entre régulation et innovation : un équilibre à trouver

L’un des grands handicaps de l’Europe tient à son rapport à la technologie. Là où les États-Unis ont cultivé un écosystème fondé sur la prise de risque et l’innovation privée, l’Europe reste prudente, réglementaire et souvent frileuse face à l’échec. Les start-up européennes peinent à franchir le cap de la croissance mondiale. Malgré la vitalité de certains hubs comme Berlin, Paris ou Tallinn, peu de « licornes » européennes rivalisent avec leurs équivalents américains ou asiatiques. Le financement de la recherche reste insuffisant, et la fragmentation des marchés intérieurs rend difficile l’émergence d’acteurs transcontinentaux. De plus, la stratégie numérique européenne s’est longtemps focalisée sur la protection, avec le RGPD, pionnier mondial en matière de régulation des données, plutôt que sur la création. Si cette approche a renforcé la confiance des citoyens, elle n’a pas permis de générer des champions industriels capables de transformer la donnée en richesse économique. Des entreprises comme OVHcloud, Atos, Infineon ou Dassault Systèmes démontrent qu’un savoir-faire technologique européen existe. L’enjeu est désormais de changer d’échelle, d’attirer les talents et d’investir massivement pour éviter une marginalisation durable. L’Europe dispose d’atouts majeurs : un haut niveau d’éducation, une conscience éthique forte, un marché de plus de 400 millions de consommateurs et une capacité de régulation qui influence le monde entier. Ce modèle pourrait devenir un contrepoids vertueux face aux dérives des puissances numériques dominantes. L’objectif d’une indépendance totale est sans doute illusoire dans un monde interconnecté, mais une souveraineté maîtrisée, fondée sur la capacité à protéger ses données, ses infrastructures et ses normes, reste à portée de main.Rattraper son retard numérique ne sera pas une simple affaire de technologie, mais de vision. L’Europe ne gagnera pas la bataille du numérique en essayant d’imiter la Silicon Valley ou Shenzhen, mais en inventant sa propre voie : celle d’un progrès responsable, au service de l’humain et non de sa mise en données. Son retard, s’il est assumé, peut encore devenir un avantage, celui d’un continent capable d’apprendre des excès des autres pour bâtir un modèle numérique fondé sur la confiance, la durabilité et l’éthique. Le défi est immense, mais il en va de l’essence même de la souveraineté européenne : exister, choisir, et ne plus simplement subir le monde numérique.

Rattraper son retard numérique ne sera pas une simple affaire de technologie, mais de vision. L’Europe ne gagnera pas la bataille du numérique en essayant d’imiter la Silicon Valley ou Shenzhen, mais en inventant sa propre voie : celle d’un progrès responsable, au service de l’humain et non de sa mise en données. Son retard, s’il est assumé, peut encore devenir un avantage, celui d’un continent capable d’apprendre des excès des autres pour bâtir un modèle numérique fondé sur la confiance, la durabilité et l’éthique. Le défi est immense, mais il en va de l’essence même de la souveraineté européenne : exister, choisir, et ne plus simplement subir le monde numérique.

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