Construire sans l’Amérique

6 mai 2025

Construire sans l’Amérique

L’Europe face à l’effondrement du modèle américain

L’Amérique. Ce nom a longtemps porté une promesse. Celle d’une terre de liberté, d’audace et de renouveau. Un pays où l’impossible semblait accessible, où les rêves les plus fous pouvaient devenir réalité. Pendant des générations, des millions de femmes et d’hommes à travers le monde ont tourné leur regard vers les États-Unis avec admiration — parfois avec espoir, parfois avec envie. Hollywood, la Silicon Valley, la conquête spatiale, le jazz, les droits civiques, Martin Luther King… autant de symboles d’une nation qui se voulait pionnière, résolument libre et universellement inspirante. Mais aujourd’hui, que reste-t-il de ce rêve américain ? Est-il encore vivant — ou seulement entretenu comme un mythe, pour masquer une réalité bien plus trouble ?

L’Amérique donne aujourd’hui l’impression de perdre pied. Non pas parce qu’elle s’effondre économiquement ou militairement — elle demeure une puissance colossale — mais parce qu’elle s’éloigne de ce qui faisait son socle. Ce ne sont pas ses capacités qui vacillent, mais ses fondations morales et politiques. Ce pays qui se voulait le phare de la démocratie glisse peu à peu vers une forme d’autoritarisme rampant. L’espace du débat libre se rétrécit à mesure que la parole critique est perçue comme une menace, et que seul celui qui se pense intouchable — presque divin — s’autorise à parler sans filtre, sans contradiction, sans contrepoids. Le système démocratique américain, bâti sur l’équilibre des pouvoirs, la liberté d’expression et le respect des institutions, semble aujourd’hui étouffé par le culte de la personnalité. Une partie de la classe politique, mais aussi des médias, semble s’être résignée à une posture de loyauté aveugle. Comme dans une cour monarchique, on évite de contredire le souverain de peur d’être humilié, rétrogradé, voire exclu. Le débat d’idées s’est transformé en affrontement de fidélités. La nuance est devenue suspecte. La complexité, tournée en dérision. Et toute forme de désaccord, assimilée à une trahison.

Comment en est-on arrivé là ? Les causes sont multiples, mais l’une des plus profondes est sans doute la fracture identitaire qui traverse la nation. L’Amérique s’est morcelée en deux camps irréconciliables, qui ne dialoguent plus, qui ne partagent même plus un socle commun de faits. L’espace public, saturé par les algorithmes, les slogans, les chaînes partisanes et les récits complotistes, ne permet plus une confrontation saine des idées. La vérité devient subjective, manipulable, à géométrie variable. Et dans ce chaos, c’est celui qui parle le plus fort, qui affirme le plus violemment, qui l’emporte. Le danger ne vient pas uniquement d’un homme, ni même d’un parti. Il tient à un climat général, à une culture politique où la figure du chef charismatique tend à remplacer l’intelligence collective. Où les institutions ne sont plus respectées pour leur rôle, mais suspectées dès qu’elles ne servent pas des intérêts partisans. Où la justice devient un levier de règlement de comptes, et où les principes fondateurs de la Constitution sont contournés, déformés, parfois piétinés sans complexe.

Alors que l’Amérique vacille, c’est à l’Europe de prendre conscience d’un tournant historique. Pendant trop longtemps, elle est restée dans l’ombre du géant américain, fascinée, parfois dépendante, souvent silencieuse face aux dérives. Mais cette Amérique-là — divisée, crispée, repliée sur elle-même — ne fait plus rêver. Elle n’incarne plus le modèle. Elle n’offre plus de cap. Et il serait temps que l’Europe cesse de se définir en miroir de ce partenaire affaibli pour enfin se regarder telle qu’elle est, et telle qu’elle pourrait devenir. Ce moment de bascule peut devenir une chance. Une invitation à l’unité, à la lucidité, à l’audace. L’Europe n’a pas à singer les empires ni à rivaliser par la force brute, mais elle peut redevenir une puissance politique, économique, culturelle et morale. Une puissance qui repose sur le droit, sur la coopération, sur la défense des libertés — mais aussi sur une capacité affirmée à se faire respecter. Cela suppose de dépasser les égoïsmes nationaux, de reconstruire un projet collectif clair, et de parler d’une seule voix sur la scène internationale.

Si l’Amérique s’égare, l’Europe peut — et doit — choisir une autre voie. Non pas celle du repli ou de la nostalgie, mais celle de la construction patiente et résolue d’un continent souverain, solidaire et stratégiquement indépendant. Un continent qui ne courbe plus l’échine face aux choix erratiques de Washington, mais qui affirme ses propres valeurs, ses propres intérêts, son propre avenir. Ce sursaut européen est possible. Il est même nécessaire. Car si l’Occident veut encore peser dans un monde en recomposition, ce ne sera plus à travers un protectorat transatlantique, mais à travers un équilibre renouvelé. Une Europe forte, claire, unie, pourrait devenir ce pôle d’équilibre, de stabilité et de responsabilité dont le monde a plus que jamais besoin.

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