Le 19 mars 2023, UBS a annoncé son acquisition de Credit Suisse. A l’annonce des conditions, un point en particulier a suscité l’émoi : Credit Suisse dépréciait ses obligations convertibles Additional Tier 1 (AT1), tandis que ses actionnaires allaient recevoir un paiement de 3 milliards de francs suisses, rejetant ainsi l’ordre de remboursement habituel. Cela a déclenché une vague de recours, ainsi qu’un débat sur la validité de cette classe d’actifs. Un an plus tard, Pierre Verlé, Responsable du crédit chez Carmignac, analyse les implications de cet événement et les perspectives pour les AT1.
Pour comprendre l’importance de l’affaire Credit Suisse, il faut se rappeler la raison pour laquelle les obligations convertibles contingentes Additional Tier 1 ont été initialement conçues. Dans le sillage de la crise financière de 2008, les obligations convertibles contingentes (CoCos) ont été créées par les régulateurs pour aider les banques à respecter des exigences plus strictes en matière de fonds propres. En cas de crise, elles peuvent être converties ou dépréciés en fonction de déclencheurs contractuels et/ou dans le cadre d’une résolution. Les détenteurs bénéficient de rendements considérablement plus élevés. Le système bancaire bénéficie de la recapitalisation d’une institution fragile, de la facilitation d’une solution de « crise » (telle qu’une acquisition) et de la prévention d’une crise systémique.
Après une série d’erreurs, Credit Suisse, une banque d’importance systémique, a perdu la confiance des marchés financiers suite de la faillite de trois banques américaines. Compte tenu de la nature de la crise, ses CoCos se sont retrouvées sous les projecteurs. Dans les jours précédant l’annonce de l’acquisition, la banque fut assaillie par des rumeurs de crise de liquidité, souvent auto-réalisatrices. L’annulation de 16 milliards de francs suisses de l’ensemble des AT1 de Credit Suisse a sans aucun doute été un élément déterminant pour convaincre UBS à reprendre son concurrent. Le défi, cependant, était moins la perte de la valeur des AT1 CoCos, que le paiement (sous forme d’actions UBS) aux actionnaires de Credit Suisse, contrairement à l’ordre de remboursement convenu en cas de crise. Les recours se poursuivent, et la légère reprise du prix des créances AT1 de Credit Suisse (qui s’échangent maintenant à plus de 10% de leur valeur nominale contre moins de 2% immédiatement après l’annonce) suggère que certains investisseurs en difficulté voient une probabilité matérielle d’un règlement.
Pour les observateurs financiers, la question était de savoir, si les institutions financières pouvaient ignorer l’ordre de priorité des créanciers (même subordonnés) en plaçant les actionnaires au-dessus des détenteurs de CoCos juniors, s’il y avait un intérêt à posséder ces instruments plutôt que des actions, dont le potentiel de retour est plus élevé.
À la suite de cet événement, les AT1 ont été mis à mal. Le 20 mars, les rendements des CoCos ont augmenté, montant à plus de 10%, son plus haut niveau depuis sa création en 2013 et près de 3% de plus qu’au pire de la panique liée au Covid trois ans plus tôt[1].
Dans cette panique l’arbre cachait la forêt. Non seulement plusieurs éléments de l’acquisition de Credit Suisse étaient particuliers à cette situation, y compris le rôle, la temporalité de l’actionnaire principal et le cadre réglementaire suisse. Mais surtout, en prenant un peu de recul, les CoCos ont fait ce pour quoi elles ont été conçues : faciliter une restructuration crédible d’une banque qui a parti son actif le plus vital, à savoir la confiance de ses parties prenantes.
Une crise a été évitée, malgré la détresse d’une banque d’importance systémique, et la contagion à moyen terme à d’autres institutions financières a été contenue. Ces obligations convertibles ont joué le rôle de coupe-circuit, de sorte que le coût de la ruée sur la banque a été essentiellement limité aux détenteurs d’AT1 de Credit Suisse (et, dans une certaine mesure, aux actionnaires). Il ne fait aucun doute que le coût social de la chute de Credit Suisse a été bien inférieur à celui d’une crise bancaire classique.
Aujourd’hui, les CoCos se négocient à peu près au même niveau, en termes de marge de crédit, qu’en février 2023. La crédibilité a été restaurée. Les investisseurs évaluent plus les risques d’une obligation en fonction des mérites de chaque institution financière plutôt qu’en fonction d’un risque systémique binaire.
Les CoCos continuent de jouer un rôle important pour prévenir d’une crise potentielle en permettant de renforcer, en cas de besoin, les ratios de fonds propres d’une banque. En outre, l’évaluation des risques de crédit situation par situation est précisément ce qui permet aux marchés financiers de remplir leur fonction sociale efficacement. Les CoCos sont bel et bien de retour dans le radar des investisseurs. Et, sous réserve d’une solide analyse fondamentale d’un titre, les ces instruments représentent un moyen attrayant d’accéder aux banques de qualité qui ont travaillé dur pour améliorer leur stabilité financière depuis la grande crise financière.
[1] La différence avec les taux sans risque était néanmoins plus importante en 2020
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