Tapering en novembre, Noël en décembre !

9 décembre 2021

Tapering en novembre, Noël en décembre !

Bien que sa probabilité soit encore faible, il existe un scénario alternatif, celui d’une inflation durable s’accompagnant d’une remontée généralisée des taux d’intérêt dont les effets pourraient être considérables pour les investisseurs, prévient Frédéric Leroux, membre du comité d’investissement stratégique de Carmignac.

Aujourd’hui, les marchés financiers anticipent une inflation qui ne serait que transitoire.Il existe pourtant un scénario alternatif celui d’une inflation résiliente s’accompagnant d’une remontée généralisée des taux d’intérêt. Si la probabilité d’une telle menace, qui ne s’est présentée qu’à de très rares occasions au cours des quarante dernières années, reste encore faible, ses effets pourraient être considérables sur le rendement des actifs financiers.

Un tel scénario aurait en effet de lourdes conséquences sur la valorisation des actions, sur l’or ou encore le marché immobilier. La fin d’une désinflation persistante nous forcerait à nous débarrasser des réflexes d’investisseurs acquis au cours des décennies passées et à devoir nous adapter à un nouvel environnement. Si cette perspective n’est pas celle qui est privilégiée aujourd’hui, il est intéressant de noter que c’est bien pour calmer les anticipations inflationnistes que plusieurs banques centrales ont commencé à inverser leur politique monétaire.

Plusieurs d’entre elles, dans les pays exportateurs de matières premières et les pays émergents, ont ainsi déjà initié des hausses de taux ces dernières semaines. Quant à la Réserve fédérale américaine (Fed), pourtant ardente défenseuse d’une inflation transitoire, elle a commencé ce mois-ci à réduire ses achats d’actifs financiers (Tapering) avec, en perspective, une remontée de ses propres taux en cours d’année prochaine. La volonté clairement exprimée de son président Jerome Powell est de ne surtout pas surprendre les marchés financiers en leur indiquant par avance ce que compte faire la Banque centrale, dans quelles proportions et à quel rythme.

A l’écouter, il paraîtrait presque acquis que la réalité économique n’apportera pas de surprises brutales capables de bouleverser ses plans ou de surprendre les investisseurs. Nous aimerions en être aussi convaincus mais force est de constater que le caractère « transitoire » de l’inflation américaine – aujourd’hui supérieure à 6 % – commence à être mis en doute par les pénuries dans plusieurs secteurs d’activité (semi-conducteurs, transport,…) et de nouveaux comportements à l’égard du travail.

Grâce à l’épargne accumulée au cours des 18 derniers mois (12% du PIB américain !), la hausse des marchés financiers et des prix de l’immobilier, et le besoin d’une « meilleure qualité de vie », un certain nombre de ménages américains envisagent un départ en retraite anticipé, l’arrêt d’une activité salariée pour l’un de ses membres ou un emploi moins contraignant en termes d’horaires. Et compte tenu du nombre d’offres d’emplois proche des records historiques à des conditions de rémunération attractives, les salariés sont en position de force dans la négociation de leurs rémunérations (une première depuis des décennies), ce qui devrait alimenter la hausse des prix.

A cela s’ajoutent deux autres facteurs d’inflation potentiels. Le premier provient des mesures prises par certains Etats qui ont distribué un supplément de pouvoir d’achat aux ménages comme les chèques envoyés par l’administration Trump pour faire face à la crise sanitaire, y compris à des personnes ayant une propension à consommer déjà élevée. Le second facteur d’inflation supplémentaire résulte de la transition énergétique à marche forcée, qui pourrait engendrer une hausse des prix du gaz et du pétrole durable du fait de la baisse des investissements dans le secteur des énergies fossiles alors que le remplacement par d’autres sources va prendre plusieurs années.

Un droit à l’erreur très limité

Or, le droit à l’erreur des banques centrales est faible. Une hausse trop rapide de leurs taux directeurs entraînerait un ralentissement marqué de l’économie mondiale compte tenu du niveau élevé de l’endettement. Et dans le cas inverse d’une action trop molle ou trop lente de leur part, qui ne semble pas vraiment pris en compte par les investisseurs, l’inflation pourrait se maintenir durablement à un niveau élevé. Et avec une croissance mondiale plus faible, une inflation résiliente aurait davantage de conséquences négatives pour les marchés financiers qu’un ralentissement graduel de la hausse des prix n’aurait d’effets positifs.

La configuration actuelle délivre un message plutôt clair en matière d’investissement en actions. Dans le cas d’une inflation qui retomberait progressivement après la fin des pénuries actuelles sans effondrement de la croissance, les marchés d’actions devraient conserver leur orientation positive toujours tirée par les valeurs de croissance à bonne visibilité. Et si les banques centrales ne parvenaient pas à bien maîtriser la situation, déclenchant un ralentissement économique plus profond qu’anticipé, ces mêmes valeurs de croissance à bonne visibilité conserveraient une performance relative toute à leur avantage. Il faudrait alors une authentique récession pour que ce soient les valeurs avec le profil le plus défensif, c’est-à-dire les sociétés dont l’activité est la moins affectée par une dégradation de l’environnement économique, qui tirent leur épingle du jeu.

Et dans le cas d’une inflation durable ? La période la plus comparable à ce qui pourrait se produire en Bourse est celle dite des « Nifty Fifty », qui s’est étendue du milieu des années 1960 au début des années 1970 quand le premier choc pétrolier (1973) a mis fin à la hausse des actions. Vers 1965, l’inflation a commencé à monter progressivement poussant les taux d’intérêt à la hausse sans que cela n’empêche les belles valeurs de croissance de l’époque d’être très recherchées jusqu’à un certain point : Digital Equipment (technologie), Disney (loisirs), Eli Lilly (santé), Kodak (biens de consommation) ou encore General Electric (conglomérats industriels). Ces titres étaient appelés les « Nifty Fifty », une cinquantaine d’entreprises « géniales » capables de s’accommoder de l’inflation.

Encore des valeurs de croissance à bonne visibilité…Une catégorie qui semble présenter une valeur relative considérable tant leur modèle économique donne l’impression de pouvoir s’accommoder de tous les scenarii que l’on peut anticiper aujourd’hui.

[1] Tapering : mot anglais signifiant – dans le contexte des marchés financiers – la réduction des achats d’actifs par les banques centrale

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