Photos © Jérôme Soistier
Interview de Jérôme Soistier – CEO de C3Medical
International Leader : L’évolution sociétale des populations en Afrique a créé deux mondes distincts : les « riches » avec de nouvelles maladies (diabète, obésité et maladies cardiaques) et les plus pauvres, qui sont quant à eux, encore dans le périmètre des maladies de soins primaires. Partant de votre expertise, comment se présente le système de soin en Afrique ?
Jérôme Soistier : Tous les pays ne se ressemblent pas et certains sont plus en avance que d’autres. Néanmoins et malgré des investissements réalisés ces dernières années, notamment par le secteur privé, le système de soin en Afrique de l’Ouest reste déficient. Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise un ratio de 7 médecins et 30 lits d’hôpital pour 10 000 habitants, l’Afrique subsaharienne n’en compte respectivement qu’1 et 10. Dans la même région, les dépenses de santé restent dix fois inférieures à la moyenne mondiale.
Les projets de CMU évoqués depuis des années restent encore, à de rares exceptions, a être mis en œuvre, les infrastructures (hôpitaux et cliniques) sont trop souvent sous équipées et surchargées, les taux de mortalités sur les pathologies chroniques telles que le cancer restent bien trop élevées (70% versus 40% en Europe). Le problème des faux médicaments reste entier. Je ne parle même pas du COVID, de ses impacts passés et à venir du fait d’un accès limité aux vaccins. Beaucoup reste à faire et cela commence par la définition de politiques publiques pragmatiques et réalistes, avec des priorités claires dans les domaines du soin, de la formation, des investissements et contrôles en phase avec les objectifs fixés.
International Leader : Les efforts pour renforcer les services de santé en Afrique à court ou moyen terme se heurtent souvent à une série d’obstacles qui vont au-delà du secteur de la santé lui-même. Est-ce que finalement cela ne crée pas une médecine à 2 vitesses entre les riches et les très pauvres ?
Jérôme Soistier : Les obstacles sont effectivement nombreux : faiblesse du niveau de vie, « exil » des personnels formés, certaines croyances qui restent ancrées, absence de remboursement des soins, manque de politiques / moyens de détections, il est évident que l’accès à des soins de qualité pour une bonne partie de la population de ces pays n’existe pas.
La pandémie que nous vivons, peut néanmoins changer la donne et aider à l’accélération de tendances de fonds que nous voyons émerger : mise en place de programmes de couverture médicale pour tous, financés par les états, développement des assurances privées, prise en compte de la santé de leurs collaborateurs par les entreprises, développement de nouvelles structures des soins plus modernes et de nouveaux services comme la télémédecine ou l’hospitalisation à domicile.
International Leader : Fondée en 2011 en France et en ayant plus de 70 % de son activité en Afrique, C3Medical gère l’ensemble du parcours de soins de ses patients internationaux : du voyage à l’hospitalisation, en passant par l’hébergement des proches. Quel a été l’impact du COVID sur vos activités ?
Jérôme Soistier : L’impact du COVID a été très significatif. Les frontières se sont fermées, les hôpitaux Français et Marocains ont réservé leur capacité à des patients locaux. Les gens ont arrêté de voyager pour se faire soigner ce qui a pu entrainer dans de nombreux cas, malheureusement une aggravation de leurs conditions. Seules les personnes dont le pronostic vital était engagé ont pu trouver des places dans des hôpitaux et cliniques français. Leurs évacuations ont très souvent été réalisées par avion sanitaire. Dans ce domaine des évacuations d’urgence, notre activité a augmenté en 2020. Cette situation nous a obligé à repenser nos services.
Nous avons accéléré le développement de notre plateforme 4.0 de service d’assistance médicale au Maroc, à destination du Maroc et de l’Afrique, qui vise à proposer à nos partenaires (assurances, entreprises) une palette de solutions innovantes (digitales / à distance) pour leur permettre d’améliorer la santé de leurs assurés et collaborateurs. Nous proposons une offre d’assistance médico-sociale en ligne, et devrions lancer notre activité de télémédecine au second semestre 2021. Maintenant que la pandémie semble être sous contrôle nous relançons de nouveaux projets, notamment dans les domaines de la prévention, avec nos clients (campagnes de bilans de santé notamment), de la promotion de l’innovation en santé notamment.
International Leader : C3Medical peut être considéré comme une sorte de conciergerie médicale. Qu’est-ce qui fait votre force ?
Jérôme Soistier : C3Medical est une société de services d’assurance médicale. La conciergerie médicale n’est que l’un des services que nous proposons à nos clients, compagnies d’assurance, entreprises et institutions. Nous proposons également, comme je l’ai dit précédemment, un service d’assistance médico-sociale à distance, ainsi que des services d’organisation et de coordination de parcours de soins en France et au Maroc, de seconds avis médicaux, d’évacuation sanitaires d’urgence. Notre objectif est de pouvoir accompagner les patients sur l’intégralité de leur parcours de soins (puis en amont avec des services de prévention à venir), pour améliorer leur orientation, leur donner accès aux meilleures expertises, et les accompagner.
Ce qui fait notre force c’est la qualité de notre équipe, humaine, passionnée, très réactive et très orientée patient. Ce sont également les réseaux que nous avons su développer grâce au 10 ans passés à travailler avec les structures de soins partenaires comme l’institut Curie ou l’IMM. C’est enfin notre organisation, nous sommes dotés d’une direction médicale intégrée, avons des bureaux en France, en Chine, au Maroc, au Mali, au Gabon, et en septembre prochain en Côte d’Ivoire, et nous avons investi dans la mise en œuvre d’une plateforme digitale de gestion des parcours sécurisée.
International Leader : Avec le COVID, on a assisté à un boom de la téléconsultation et la télémédecine. Effet COVID ou une tendance qui risque perdurer ?
Jérôme Soistier : Non seulement la croissance de la téléconsultation et de la télémédecine va perdurer, mais elle va encore augmenter et surtout permettre de régler en partie le problème de manque de médecins et de personnel soignant en Afrique. Les nouveaux modes de formation par simulation et à distance devraient permettre de faire monter en compétence plus de médecins et de personnel de santé ; l’accès à des pools de médecins et la disponibilité d’objets connectés vont permettre de suivre à distance des patients vivant loin des grandes villes ou incapables de se déplacer.
Des nouveaux outils vont également permettre d’améliorer la prévention grâce à une meilleur diffusion des informations, un meilleur accès aux données et aux alertes, et donc d’améliorer la santé des populations de façon significative. Il faut donc favoriser le développement de nouveaux services, de nouvelles entreprises locales, capitalisant sur la technologie et les réseaux pour faciliter l’accès à la santé pour tous.
International Leader : Si cette tendance se confirme, peut-elle être une véritable aubaine pour votre entreprise. Si oui, quelles nouvelles dispositions pour faire face à cette nouvelle offre ?
Jérôme Soistier : Comme je l’ai dit précédemment, nous avons déjà commencé à lancer des nouveaux services dans ce domaine. Ce n’est que le début. Dès fin 2021 nous lancerons un service de télémédecine. Ensuite nous prévoyons de développer des offres dans les domaines de la prévention et du suivi pro-actif des patients pour réduire les besoins en soins. Nous pensons que l’avenir de la santé se joue là. Mieux prévenir pour avoir à moins guérir.
International Leader : En Afrique, nombre de pays, d’entreprises, de compagnies d’assurances, de familles, d’associations, dépensent des sommes considérables pour financer des soins à l’étranger souvent non disponibles localement. Ces montants se chiffrent à plusieurs centaines de millions d’euros chaque année. Quelles perspectives pour C3Medical ?
Jérôme Soistier Les évacuations sanitaires existent et continueront d’exister. En France, des patients vont se faire soigner loin de chez eux pour pouvoir avoir accès à des techniques non disponibles chez eux (exemple de la protonthérapie par exemple avec uniquement 3 centres dans le pays…). Toutes les structures de soins ne pourront pas acquérir tous les équipements et les compétences, notamment dans des domaines complexes en pleine évolution tels que le cancer (70% des évacuations sanitaires).
Dans ce domaine, notre objectif est double : aider à une optimisation des évacuations, qui doivent être réalisées en proposant les meilleurs spécialistes pour les soins recherchés, en réduisant au maximum les durées d’hospitalisation grâce à une logistique très performante facilitant la mise en place de soins hors de l’hôpital, en étant transparent sur les coûts.
C’est également aider au développement de coopérations entre des structures de soins d’excellence en France (Institut Curie, IMM, FOR, Saint-Joseph, Hôpital Virtuel de Lorraine, etc.) et des structures de soins en Afrique pour coopérer sur des parcours, former les médecins, apporter du conseil… aider à une amélioration des soins localement. C’est cette double approche, associée au développement des nouvelles solutions digitales, à l’engagement de nombreux talents et à la mise en place de politiques publiques efficaces, qui permettra d’améliorer la santé en Afrique.
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